Les Nus et les Morts
atterri.
Pendant plusieurs longues secondes ils restèrent sans bouger. Puis le mur de devant s’abaissa et Martinez entra en clopinant dans l’eau. Une vague se brisa sur ses jarrets, et il faillit tomber. Il avançait tête baissée, regardant l’eau. Ce n’est qu’après avoir atteint la berge qu’il comprit que rien ne lui était arrivé. Il regarda autour de lui. Cinq embarcations avaient atterri en même temps que la leur, et les hommes s’égaillaient sur la plage. Il vit un officier qui venait dans sa direction, il l’entendit demander à roft : « Quelle section est-ce là ?
– Renseignements et reconnaissance, mon lieutenant. Détachés au service de déchargement. »
L’officier leur donna l’ordre d’attendre près d’un bouquet de cocotiers, à la lisière de la plage. La section s ébranla lourdement sur le sable mou, et Martinez prit place dans le rang, trébuchant derrière Red. Il ne sentait rien, sinon que son arrêt venait d’être retardé.
Ils parcoururent deux cents mètres environ, puis s’arrêtèrent au bocage de cocotiers. Il faisait déjà chaud. La plupart des hommes se défirent de leur équipement et s’étalèrent sur le sable. D’autres hommes y avaient passé avant eux. Des unités de la première vague s’étaient assemblées tout près car le sable, piétine tout alentour, était jonché de paquets de cigarettes et de boîtes de rations vides. Mais ces hommes étaient présentement à l’intérieur de l’île, avançant quelque part à travers la jungle, et la plage semblait à peu près déserte. Leur regard portait à deux cents mètres environ dans chaque direction, après quoi la plage disparaissait dans un tournant. Tout était quiet, relativement vide. Il se pouvait qu’il y eût pas mal d’activité de l’autre côté des tournants, mais il ne leur était pas possible de s’en rendre compte. Il était encore trop tôt pour l’arrivée du ravitaillement, et les troupes qui avaient débarqué en même temps qu’eux s’étaient immédiatement dispersées. A une centaine de mètres sur leur droite la marine avait établi un P. C. composé d’un officier, d’une table pliante, et d’une jeep garée dans une enfilade où Ja jungle rejoignait la plage. Sur leur gauche, à un huitième de mille de là, le personnel du Q. G. commençait à s’affairer. Quelques plantons creusaient des trous pour l’état-major du général, et dans une direction opposée deux hommes déroulaient en titubant un touret de fil téléphonique. Une jeep passa en bordure de l’eau, sur le sable humide et ferme, et disparut derrière le P. C. de la marine. Les embarcations d’assaut qui avaient atterri près des pennons multicolores du Q. G. avaient repris la mer, et on les voyait filer vers la flotte d’invasion. L’eau paraissait très bleue, et les bâtiments semblaient pris d’un léger frisson dans la brume du matin.
Par intervalles un des torpilleurs tirait une volée, et une demi-minute plus tard les hommes entendaient le doux soupir de l’obus qui décrivait un arc en direction de la jungle. De temps à autre le vacarme d’une mitrailleuse venait de la brousse, auquel répondait bientôt le son aigu d’une arme japonaise.
Le sergent Brown regarda les cocotiers, dont les obus avaient fauché la cime. Plus loin il y avait un bouquet de cocotiers intacts, et Brown secoua la tête. Des tas d’hommes auraient pu tenir sous un bombardement comme ça, dit-il. « C’est pas un si mauvais bombardement quand on pense à ce qu’ils ont fait à Motome », fit-il.
Red avait son air acerbe. « Voui, Motome. » Il se coucha sur son estomac, alluma une cigarette. « La plage pue déjà, annonça-t-il.
– Comment peut-elle puer ? demanda Stanley. Il est trop tôt encore.
– Ça pue, c’est tout », répondit Red. Il n’aimait pas Stanley. Bien qu’il eût exagéré le faible relent saumâtre qui venait de la jungle, il était prêt à défendre son affirmation. Il reconnut un ancien et familier découragement s’infiltrer en lui ; il se sentait cafardeux, irritable, il était trop tôt pour manger, et il avait fumé trop de cigarettes. « C’est pas une invasion, dit-il. C’est des exercices. Des manœuvres amphibies. » Il cracha avec dépit.
Croft ajusta sa cartouchière autour de sa taille, jeta son fusil sur son épaule. « Je vais aux renseignements, dit-il à Brown. Toi tu restes avec les hommes jusqu’à ce que je
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