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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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là-bas, et quand Croft reviendra rejoignez-nous. » Il se mit en devoir de ramasser ses affaires, se décida brusquement à les laisser en l’état, grommela : « Merde, prendrai ça plus tard », s’élança au petit trot. Les autres le suivirent du regard avec surprise, puis, haussant les épaules, Gallagher, Wilson, Red, Stanley et Martinez, éparpillés sur une longue file, prirent sa suite. Hennessey les accompagna des yeux, puis se tourna vers Toglio et Ridges. Il avait creusé son trou à quelques mètres seulement de l’îlot des cocotiers, et il essayait de voir à travers le bosquet ; mais, trop dense, la végétation obstruait le regard. Sur sa gauche le trou de Toglio, encore que distant d’une vingtaine de mètres, semblait bien loin ; le trou de Ridges, situé de l’autre côté de celui de Toglio, paraissait à une très grande distance. « Qu’est-ce que je dois faire ? » chuchota-t-il à l’adresse de Toglio. Il regrettait de n’être pas parti avec les autres, mais il avait craint de les suivre, de peur de s’exposer aux moqueries. Toglio regarda autour de lui et, se baissant, courut vers le trou d’Hennessey. La sueur couvrait sa large face. « Je crois que la situation est très sérieuse, dit-il dramatiquement, fouillant du regard les approches de la jungle.
    – Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Hennessey. Il sentait un gonflement dans la gorge, qu’il lui était impossible de définir comme plaisant ou déplaisant.
    « Je crois que les Japonais ont amené en douce un mortier près de la plage, et il se peut qu’ils nous attaquent. » Il se tamponna le visage. « J’aurais voulu que les gars aient creusé leurs trous ici.
    – Ç’a été un sale coup de se sauver », dit Hennessey. Il était surpris par le ton naturel de sa voix.
    « Je ne sais pas, dit Toglio. Brown a plus d’expérience que moi. On doit avoir confiance dans ses gradés. » Il fit couler un peu de sable entre ses doigts. « Je retourne à mon trou. Toi, tu ne bouges pas d’ici. Si des Japonais s’amènent, nous aurons à les arrêter. » Sa voix était sinistre. Hennessey approuva de la tête avec ardeur. « C’est comme le cinéma », pensa-t-il. De vagues images se chevauchèrent dans son esprit. Il se vit debout, repoussant une charge. « Okay, petit gars », dit Toglio, lui tapant sur l’épaule. Se baissant de nouveau, il dépassa son propre trou et courut à Ridges pour lui donner ses instructions. Hennessey se souvint que Red lui avait dit que
    Toglio avait rejoint la section après que le pire de la campagne de Motome fut passé, et il se demanda si on pouvait se fier à lui.
    Il s’accroupit dans son trou, scrutant du regard la jungle. Sa bouche était sèche, et il n’arrêtait pas de s’humecter les lèvres. Chaque fois qu’un mouvement se produisait dans la brousse, son cœur se contractait. Tout était calme sur la plage. Une minute se passa, et il commença à s’ennuyer. Il entendit un camion qui embrayait dans le bas de la plage. Il risqua un coup d’œil, vit, au large, une nouvelle vague d’embarcations d’assaut qui filaient vers l’île. « Des renforts pour nous autres », se dit-il, se rendant aussitôt compte combien son idée était absurde.
    Le sec bruit de gifle arriva de la jungle, suivi d’une autre décharge, puis d’une autre et d’une autre. « C’est des mortiers », pensa Hennessey, se disant qu’il saisissait vite. Il entendit, presque au-dessus de sa tête, un son aigu et perçant, pareil à celui que font les freins d’une voiture a l’instant de la collision. Instinctivement, il se recroquevilla dans son trou. Il ne sut pas ce qui se passa dans la seconde d’après. Il perçut une effroyable explosion qui sembla se répercuter dans les moindres recoins de sa tête, et la terre trembla et s’ébranla sous lui. Il se sentit pilonné et étourdi par un coup d’air, et criblé par une avalanche de débris. Une autre explosion s’ensuivit, accompagnée de débris et de chocs, et puis un autre coup d’air et un autre. Il se surprit sanglotant dans son trou, terrifié et plein de dépit. Quand un autre obus eut atterri, il se mit à crier d’une voix d’enfant : « C’est assez, c’est assez ! » Le bombardement avait cessé depuis une bonne minute, qu’il grelottait encore dans son trou. Ses cuisses étaient chaudes et humides, et il pensa d’abord : « Je suis blessé. » Tout était paisible et plaisant, et

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