Les Nus et les Morts
attendant le retour de la patrouille d’Hearn, il était plus : prudent de ne pas en tenir compte dans ses calculs.
En dépit de ses réserves, il se donna tout entier à la tâche ; il prêta toute son attention à l’avance des troupes, il s’était concentré sur chaque rapport qui arrivait du front. Ce fut une besogne exigeante, exténuante, cl vers la fin de la journée il se senti fatigué el désireux d’une diversion. Quand sa division était au feu il trouvait presque toujours stimulant de faire son tour quotidien du front. Mais, la nuit étant venue, il ne lui était pas possible d’inspecter les positions de son infanterie. Aussi décida-t-il de visiter ses postes d’artillerie.
11 téléphona pour se faire envoyer son chauffeur avec la jeep, et vers les huit heures du soir il prit la route. La lune était presque pleine. Il se détendit sur le siège avant de la jeep, suivant des yeux le jeu des phares sur le feuillage de la jungle. Ils étaient assez à l’arrière des premières lignes pour n’avoir pas à se préoccuper de camouflage, et le général fumait indolemment, offrant son visage au souffle plaisant de la brise. Il se sentait épuisé, et tendu cependant ; les ornières du chemin, le bruit du moteur, les cahots sur le siège rembourré, le parfum de sa cigarette, le caressaient et apaisaient ses perfs comme le tiède clapotement d’un bain. Il commençait de se sentir de bonne humeur et agréablement creux.
Après un voyage de quinze minutes ils atteignirent une batterie de 155 située sur le côté de la route. Obéissant à une impulsion il dit à son chauffeur d’y aller, et la jeep rebondit sur un conduit souterrain fait de fûts d’essence vides recouverts de terre. Les roues chassèrent dans la vase du parc automobile, et ils firent halte sur un bout de terrain relativement sec. L’homme de garde avait déjà téléphoné au capitaine, lequel se présenta à la jeep pour recevoir le général.
« Mon général ? »
Cummings fit un signe de la tête. « Rien, un petit tour. Comment va la batterie ?
– Fort bien, mon général.
– Le service d’approvisionnement devait vous apporter deux cents obus il y a une heure environ. Vous les avez reçus ?
– Oui, mon général », dit le capitaine. Il marqua un silence. « Vous avez l’œil à tout ; n’est-ce pas, mon général ? »
Ceci plut à Cummings. « Avez-vous dit à vos hommes à quel point le feu du bataillon a été satisfaisant cet après-midi ?
– Je leur ai dit quelque chose à ce propos, mon général.
– On ne saurait le souligner suffisamment. Quand les hommes s’acquittent convenablement de leur tâche il est bon de le leur dire. Il est bon qu’ils aient le sentiment de la chose faite.
– Oui, mon général. »
Le général s’éloigna de la jeep et le capitaine lui emboîta le pas. « Vos ordres sont d’entretenir un feu de harcèlement de quinze minutes en quinze minutes. Est-ce correct ?
– Depuis la nuit dernière, mon général.
– Que faites-vous pour relever vos canonniers ? »
Le capitaine eut un petit sourire supérieur. « J’ai divisé les servants de chaque pièce en deux, mon général, et chaque escouade reste avec son canon une heure, faisant feu quatre fois. De cette façon mes hommes ne sont à court que d’une heure de sommeil.
– C est un fort bon arrangement », approuva le général. Ils traversaient une petite éclaircie de terrain où se trouvaient le mess de la batterie et la tente de service. Les tentes paraissaient d’argent sous la lune, et leurs toits qui s’élevaient abruptement leur donnaient une apparence de cathédrales en miniature. Ils s’engagèrent sur une piste d’une cinquantaine de pieds, taillée à même l’épais d’un taillis. Au sortir de la piste quatre obusiers alignés sur une cinquantaine de mètres pointaient les lignes japonaises par-dessus la jungle. La lune qui filtrait à travers le feuillage dessinait une moucheture mouvante sur les affûts. Derrière les canons cinq tentes d’escouade étaient disséminées dans la brousse, que noyait presque entièrement l’ombre profonde de la jungle. Ceci constituait toute la batterie : le parc automobile, le mess, le dépôt d’approvisionnement, les obusiers, et les tentes. Le général en fit le tour du regard, avisa quelques canonniers qui s’étalaient entre les roues d’un 155, et il éprouva une vague nostalgie. Une tristesse l’envahit
Weitere Kostenlose Bücher