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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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pour un instant, un regret passager de savoir que lui n’aurait jamais pu être un canonnier qui n’a que sa seule pitance pour rétribution et pas d’autre perspective que la tâche odieuse de creuser des plates-formes pour l’emplacement des pièces. Un bizarre et inhabituel état d’esprit le sollicitait, un genre tout nouveau d’apitoiement et d’indulgence.
    Des rires occasionnels s’échappaient de l’une des tentes d’escouade, des huées rauques.
    Il avait toujours été seul, c’est ainsi qu’il avait choisi d’être, et ce n’est pas maintenant qu’il se rétracterait. D’ailleurs, il n’y songeait pas. Les choses les meilleures, les choses qui valent la peine doivent, en dernière analyse, se faire dans la solitude. Des instants comme celui-ci, les doutes passagers, sont des tentations qui s’emparent de vous quand on relâche sa vigilance. Il regarda la vaste et sombre masse du mont Anaka qui se détachait sur la nuit – une masse plus grande que le ciel qui la surmontait. C’était l’axe de l’île, sa clef de voûte.
    « Il y a une affinité entre nous », se dit-il. Si on voulait faire du mysticisme à ce propos, la montagne et lui se comprenaient l’un l’autre. Tous deux, nus et seuls par nécessité, ils commandaient les hauteurs. Peut-être cette nuit-ci Hearn, ayant doublé le col, voyagerait-il à l’ombre même d’Anaka. Il ressentit une bizarre secousse faite de colère et d’espoir, sans qu’il sût d’ailleurs s’il voulait ou non que Hearn réussît. La question n’était pas encore résolue de ce qu’il allait faire d’Hearn, elle ne pouvait l’être à moins que celui-ci revînt de sa mission. L’incertitude du sort qu’il réservait à Hearn le troublait.
    Le capitaine dérangea sa rêverie. « Nous allons faire feu dans une minute, mon général. Voulez-vous y assister ?
    – Oui », dit Cummings. Il accompagna le capitaine vers une pièce entourée de ses servants. Les hommes finissaient d’ajuster la pièce, et l’un d’eux chargeaient le long et svelte obus par la culasse. Ils se turent à son approche, se raidirent, l’attitude contrefaite, les mains derrière le dos, incertains s’il fallait se mettre au garde-à-vous. € Ho pos, dit Cummings.
    – Tout est en ordre, Di Vecchio ? demanda un des servants.
    – Oui. »
    Le général décocha un regard à Di Vecchio, un homme râblé court sur jambes, les manches de sa chemise relevées, un toupet noir sur le devant de la tête. « Ragot des villes », pensa Cummings avec un mélange de condescendance et de mépris.
    Un des soldats émit un gros rire embarrassé et contraint. Tous ils étaient conscients de sa présence, terriblement conscients, se disait Cummings, comme des morveux à l’entrée d’un bureau de tabac, mal à l’aise parce qu’une femme leur a adressé la parole. « Si je n’avais fait que passer ils auraient grommelé, peut-être même se seraient-ils gaussés de moi. » Il en éprouva un plaisir aigu, presque poignant.
    « Capitaine, moi je ferai partir le canon », dit-il.
    Tous le regardèrent. Un des canonniers se mit à fredonner un air. « Vous voulez bien que je fasse partir le canon ? demanda le général gentiment.
    – Hein ? fit Di Vecchio. Oui, bien sûr que oui, mon général. »
    Le chef de pièce lui céda la place et Cummings, s’approchant du canon, saisit le tire-feu, un cordon d’un pied de longueur que terminait une olive. « Combien de secondes, capitaine ?
    – Feu dans cinq secondes, mon général », dit le capitaine, regardant avec nervosité sa montre.
    Le toucher de l’olive était plaisant dans la main du général. Il regardait le mécanisme compliqué de la culasse revêtue d’ombre, et son esprit oscillait doucement entre l’anxiété et l’excitation. Machinalement, son corps avait pris une posture relâchée et confiante ; toutes les fois qu’il lui arrivait de faire une chose dont il n’avait pas l’habitude il prenait instinctivement une attitude détachée. Cependant, la masse du canon le troublait ; il n’avait pas touché à une pièce depuis West Point, et il ne songeait ni au bruit ni à la concussion mais à la fois où, pendant la première guerre, il était resté deux heures sous un barrage d’artillerie. Il avait éprouvé alors le plus puissant effroi de sa vie, et l’écho de cet émoi ricochait dans ce moment dans son esprit. Juste avant de faire partir la pièce une succession

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