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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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d’images défila dans sa tête – le grondement tumescent du canon, le long essor plongé de l’obus dans le ciel nocturne, le sifflement de la chute, la terreur des Japonais, absolue et primordiale, à -l’instant où le projectile atterrira à l’autre bout de sa trajectoire.
    Une étrange extase agita ses membres le temps d’une seconde, puis se résorba avant même qu’il s’en aperçut.
    Le général amena à soi le cordon tire feu.
    Le souffle de l’explosion l’assourdit pour un instant, le laissant étourdi et inerte. -Il sentit plutôt qu’il ne vit l’énorme langue de feu qui s’échappa de la gueule du canon, puis il perçut avec hébétude le long remous de la décharge qui entamait le cloisonnement solide de la jungle. Les pneus ballon, la flèche de l’affût, vibraient encore sous l’effet du recul.
    Tout cela n’avait pris qu’une fraction de seconde. Le souffle qui lui ébouriffa les cheveux, qui lui fît fermer les yeux, s’était résorbé avant même qu’il pût l’enregistrer. L’acuité de ses sens lui revenait par degrés à travers le sillage de l’explosion, et il s’y agrippait comme celui qui chasse son chapeau que le vent emporte. Il aspira, sourit, s’entendit dire d’une voix égale : « Je n’aimerais pas me trouver de l’autre côté », et ce n’est qu’après avoir parlé qu’il redécouvrit la présence des canonniers et du capitaine. Il l’avait dit parce qu’une partie de son esprit tenait toujours compte de la situation objective. Il s’éloigna à pas comptés, entraînant le capitaine sur ses talons.
    « L’artillerie est un rien plus impressionnante de nuit », murmura-t-il. Sa tenue s était légèrement relâchée. Il se serait gardé de faire cet aveu à un étranger, mais il se trouvait encore sous le choc d’avoir fait partir le canon.’
    « Je sais ce que vous voulez dire, mon général. Ça me donne toujours un coup, les bombardements de nuit. »
    Alors tout allait bien. Il se rendait compte qu’il avait presque fait un faux pas. « Votre batterie parait être en bon ordre, capitaine.
    – Merci, mon général. »
    Mais il n’écoutait pas. Il reconstituait en pensée l’abattée de l’obus. Combien de temps ça prenait-il ? Une demi-minute peut-être ? Son ouïe était aux aguets dans l’attente de l’explosion.
    « Je ne peux pas m’empêcher d’y penser, mon général. Ça doit être l’enfer de l’autre côté. »
    Cummings écoutait l’écho assourdi de l’explosion, à des milles dans la jungle. Il imaginait le brillant, le destructif bouquet de flammes, la rupture hurlante du métal qui fuse en chantant dans les airs. « -Je me demande si ça n tué quelqu’un ? » pensait-il. La sensation de soulagement qui se répandait dans son corps lui fit comprendre avec quelle tension il avait attendu l’atterrissage de l’obus.
    Il se sentait à la fois assouvi et exténué. Les guerres, ou plutôt la guerre, est une chose étrange, se dit-il un peu ineptement. Mais il savait ce qu’il entendait par là. Tout y était ennui et routine, règlements et chicanerie, et cependant un cœur battait là-dessous qui vous emportait dans son rythme quand on s’y jetait a corps perdu. Les aspirations secrètes de l’homme, les immolations sur les collines sacrées, le remous des désirs et des convoitises dans la nuit et dans le sommeil, n’étaient-ils pas tous contenus dans le fracas hurlant d’un obus, dans le few-et le tonnerre sortis de la main de l’homme ? Il ne formulait rien de tout cela d’une façon cohérente, mais la trace de ces choses, leurs équivalences émotionnelles, leurs images et sensations, aiguisaient puissamment ses facultés de perception. Il se sentait purifié comme dans un bain d’acide, jusqu’au bout de ses doigts, et tout son être était prêt à saisir le savoir qui se dérobait là derrière. Il se laissait aller avec plaisir à la complexité de ses spéculations. Alors que les troupes dans la jungle étaient disposées selon l’emplacement qu’il leur avait assigné, lui-même existait sur plusieurs niveaux à la fois ; une part seulement de lui-même avait fait partir le canon. Le complexe mugissement de sons et d’images et d’odeurs, multiplié et remultiplié par tous les canons de la division, se trouvait tout entier dans quelques cellules de sa tête, dans un insignifiant repli de sa cervelle. Tout – toute la violence, toute la coordination des choses

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