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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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avait pris naissance dans son esprit. Dans ce moment, dans cette nuit, il eut un tel sentiment de puissance qu’il connut les bornes du bonheur. Il était calme et sobre.
    Plus tard, dans sa jeep, sur son chemin de retour, il fut d’excellente humeur. II était encore tendu, un rien fiévreux encore, mais le sentiment qu’il en éprouvait chargeait son cerveau d’une intense activité exempte d’agitation. Cependant, sa pensée errait au hasard de sa propre tente ; il s’amusait, comme eût fait un enfant lâché dans une boutique de jouets – un enfant laissé libre de toucher à tout et de tout abandonner au gré de sa fantaisie. Cummings n’était pas sans, être conscient de ce jeu. Toute nouvelle activité physique avait le don de l’éperonner. de fouetter ses sensations.
    Arrivé dans sa tente, il jeta un regard rapide sur les quelques dépêches qui s’étaient accumulées en son absence. Il n’était pas en humeur de les examiner en ce moment, d’en digérer le détail, d’en assimiler l’essentiel Il quitta sa tente pour un bref moment, aspirant de nouveau l’air de la nuit. Le bivouac était silencieux, spectral presque, où la lune illuminait des flocons de bruine et recouvrait la végétation d’un filet ténu d’argent. Son état d’esprit lui faisait tout voir sous un aspect irréel. « Combien la terre paraît étrange la nuit », songea-t-il avec un soupir.
    De retour sous sa tente il hésita un instant, puis ouvrit un petit classeur placé sur le côté de sa table où il prit un lourd carnet relié de noir comme un registre. C’était son journal où, depuis des années, il jetait sur le papier ses pensées intimes. Il y eut un temps où il se confiait à Margaret, mais quand ils se furent détournés l’un de l’autre l’importance de son journal s’était accrue à ses yeux et, les années passant, il avait noirci, scellé et mis sous clef bon nombre de carnets.
    Cependant, consigner ses pensées dans son journal s’accompagnait toujours d’un sentiment de clandestinité, comme s’il eût été un adolescent qui, la conscience trouble, s’enferme au lavabo. D’ailleurs, encore que sur un plan plus élevé, son attitude rappelait, à bien des égards, celle de l’adolescent en question ;  presque sans le savoir il se préparait des excuses au cas où il se verrait surpris. « Si vous voulez patienter un instant, commandant (ou colonel, ou lieutenant), je finis de prendre quelques notes pour un mémo. »
    Il ouvrit son journal sur une page blanche, le crayon en suspens, l’esprit en éveil. Toutes sortes d’idées et d’impressions lui étaient venues sur son chemin de retour, et il attendit, sachant qu’elles allaient se reproduire dans sa tête. Une fois de plus il se souvint du cordon tire-feu, du contact ovoïde de l’olive dans sa main. Comme une bête au bout de la laisse, pensa-t-il.
    L’image donna le départ à un circuit d’idées. Il annota la date sur le haut de la page, fit rouler le crayon entre ses doigts, et se mit à écrire.
    Il n’est pas tout à fait stérile de considérer les armes comme étant quelque chose de plus que des machines, comme ayant une personnalité peut-être, une qualité humaine. L’idée m’en est venue ce soir, à la batterie, mais à quel point tout cela est comme un processus génératif, sauf que les fins en sont si différentes.
    L’imagerie lui était un peu étrangère, et c’est avec une sorte de répulsion que, tout en songeant à Di Vecchio, il nota les symboles sexuels.
    Le canon comme une reine des abeilles je suppose, fécondée par le faux bourdon. L’obus-phallus qui voyage dans un vagin d’acier brillant s’élève dans le ciel, puis allume la terre. La terre-mère comme dirait le poète, je suppose.
    Le vocabulaire de l’artilleur-implique, dans sa grossièreté même, cette signification. Peut-être cela flatte-t-il l’inconsciente satisfaction que nous éprouvons à servir la Mort-notre-Mère. Mettre en position, hausser sa vis, coucher la pièce. Je me souviens de cette classe d’entraînement que j’ai inspectée, l’amusement qu’éveillait cette terminologie, et l’officier instructeur disant : « Si vous ne savez pas introduire votre obus dans ce grand trou, je me demande ce que vous ferez quand vous serez plus âgés. » Une notion qui vaut peut-être la peine d’être analysée. Existe-t-il des travaux psychanalytiques à ce sujet ?
    Mais il y a encore d’autres armes.

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