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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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pieds par endroits. Sur leur droite, à un ou deux mètres tout au plus, s’ouvrait un précipice de plusieurs centaines de pieds, et malgré eux il leur arrivait parfois de se voir déportés tout contre l’abîme. Ils avaient hâte d’en sortir, et les arrêts de Roth les impatientaient.
    Au milieu du passage Roth tomba de nouveau ; il essaya de se ramasser, mais personne n’étant venu l’aider il s’étala tout de son long. La surface rocheuse de la saillie était chaude, mais il s’y sentait bien. La pluie de l’après-midi qui venait tout juste de commencer pénétrait dans sa chair et rafraîchissait la pierre. Il n’allait pas se relever. Quelque part dans son engourdissement une autre mortification avait pris corps. A quoi bon continuer ?
    Quelqu’un le tirait par l’épaule. « Je ne peux pas continuer, haleta-t-il en se débattant, je ne peux pas continuer, je ne peux pas. » Il abattait sans force ses poings sur la pierre.
    Gallagher essayait de le soulever. « Lève-toi, fils dé pute », criait-il. Il se faisait mal en s’efforçant de le remettre sur pied.
    « Je ne peux pas. Va-t’en ! »
    Il s’entendit sangloter. Il se rendait vaguement compte que la plupart des hommes faisaient cercle autour de lui, mais cela lui était égal. Il éprouvait une amère satisfaction que les autres le vissent ainsi, une exaltation faite de honte et de fatigue.
    Rien, après cela, ne pouvait arriver. Qu’ils le voient pleurer, qu’ils apprennent une fois de plus qu’il était le pire élément de la section. C’était le seul moyen qu’il eût de se faire reconnaître. Apres un si long anonymat, un si grand ridicule, ceci était presque préférable.
    Gallagher le tirait de nouveau par l’épaule. « Va-t’en, je ne peux pas me lever », brailla Roth.
    Gallagher le secouait, éprouvant un mélange de dégoût et de pitié. Mais, surtout, il avait peur. De toutes les fibres de son être il aspirait à se coucher à côté de Roth. Toutes les fois qu’il avalait un peu d’air, l’agonie et la nausée qui remontaient de sa poitrine lui donnaient envie de pleurer. Il savait que si Roth ne se relevait pas, il s’écroulerait à son tour.
    « Lève-toi, Roth !
    – Je ne peux pas. »
    Gallagher le saisit sous les aisselles et essaya de le soulever. Le poids inerte de ce corps était enrageant. Il le laissa retomber et lui flanqua un coup sur la tête, « Lève-toi, espèce de bâtard juif ! »
    Le coup, l’insulte, l’entamèrent comme une décharge électrique. Il se sentit en train de se ramasser, de tituber. Jamais personne ne l’avait injurié de la sorte, et de nouvelles perspectives de revers et de défaites s’ouvrirent à lui. Il n’était pas assez qu’on le jugeât pour ses propres fautes, pour ses propres insuffisances ; il fallait maintenant qu’on le chargeât des fautes d’une religion en laquelle il ne croyait pas, d’une race qui n’existait pas. « Hitlérisme, théories racistes », marmotta-t-il. Tout en trébuchant le long de la corniche il s’efforçait d’assimiler le choc. Pourquoi l’ont-ils appelé par ce nom ? Pourquoi ne voyaient-ils pas qu’il n’y était pour rien ?
    Et autre chose encore le travaillait. Toutes les façades, tous les. artifices protecteurs dont il avait entouré sa vie, s’étaient lentement corrodés dans l’atmosphère caustique de la section ; la fatigue avait affaibli les étançons de sa guérite, et le coup de Gallagher fit crouler ce qui restait de l’édifice. Il était nu. C’était révoltant de ne pouvoir pas leur parler, leur expliquer. C’est ridicule, pensait-il. Ce n’est pas une race, ce n’est pas une nation. Si tu ne crois pas à leur religion, alors pourquoi en serais-tu ? C’était précisément là l’étançon qui avait failli, et au cœur même de son épuisement il venait de comprendre quelque chose que Goldstein avait toujours su. Désormais tous ses faits et gestes en porteront la marque. Les gens non seulement ne l’aimeront pas, mais encore ils ajouteront du noir à l’étiquette dont ils l’ont affublé.
    Eh bien, libre à eux. Une secourable colère, une magnifique colère lui vint en aide. Pour la première fois de sa vie il était réellement furieux ; la colère stimulait son corps et il couvrit une centaine de mètres, puis une autre centaine de mètres, puis encore une autre. Le coup de Gallagher lui faisait mal à la tête, il chavirait sur ses jambes, mais s’ils

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