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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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ce que t’as à faire c’est attraper ma main. Tu peux pas me manquer. »
    Ils avaient un air bizarre. Face et bras projetés en avant, Gallagher se tapissait entre les jambes de Minetta. Tout en les regardant Roth se sentit plein de mépris à leur endroit. Il le comprenait maintenant, ce Gallagher. Un bravache, un bravache apeuré. Il allait leur dire un mot ou deux. S’il refusait de sauter, Croft serait obligé de faire demi-tour. La patrouille serait finie. Et, dans cet instant, Roth se connut lui-même ; il sut soudain qu’il était capable de faire face à Croft.
    Mais les hommes n’auraient pas compris. Ils se paieraient sa tête, ils se soulageraient de leur propre faiblesse en le lardant de quolibets. Son cœur s’emplit d’amertume. «  J’arrive », cria-t-il tout à coup. Puisque c’est ainsi qu’ils l’entendaient.
    Il se repoussa du pied gauche et, trop faible pour se donner l’élan voulu, son corps exécuta une maladroite embardée. Le temps d’une seconde il vit le visage étonné de Gallagher, puis il glissa à côté de sa main, puis il égratigna le roc, puis rien.
    Dans sa chute Roth s’entendit hurler de colère, et il s’émerveilla qu’il pût faire un si grand bruit. Dans sa surprise, dans sa stupéfaction, une pensée lui traversa l’esprit. Il voulait vivre. Un petit bonhomme, filant à travers l’espace.
    Tôt le lendemain matin Goldstein et Ridges se remirent en route avec le brancard. La matinée était fraîche et ils voyageaient finalement sur un terrain plat, mais ils n’y trouvèrent que peu de réconfort. Au bout d’une heure ils étaient replongés dans leur stupeur de la veille. Une fois de plus il leur fallait s’escrimer pendant quelques pas, reposer le brancard, puis reprendre le collier. Tout autour d’eux les contreforts des collines s’élevaient doucement vers les montagnes au nord. Le pays s’étalait en un vaste et paisible paysage d’un jaune pâle, comme des dunes de sable qui se perdent à l’horizon. Rien ne troublait le silence. Ils poussaient de l’avant, haletant et grognant, courbés en deux sous leur faix. Le ciel avait le bleu tranquille des matins, et très loin dans le sud, au-delà de la jungle, de fines bouffées de nuages s’étiraient les unes à la suite des autres.
    Ce matin-là leur torpeur avait pris un nouvel aspect. L’état de Wilson avait empiré et il gémissait continuellement, réclamant à boire. Ses plaidoiries et ses prières, ses cris et ses injures, leur étaient insupportables. De tous leurs sens seule leur ouïe semblait partiellement en éveil ; ils ne percevaient pas le bruissement des insectes ou la rauque sonorité de leur propre souffle, mais ils étaient sensibles à la voix de Wilson, à ses gémissements, et ses cris à boire râpaient leur peau et déchiquetaient leur résistance.
    « Les gars, faut que vous me donnez de l’eau. » Une bave rosâtre s’était coagulée dans les coins de sa bouche, et ses yeux allaient et venaient avec inquiétude. De temps à autre il se débattait sur la civière, mais sans force. Il paraissait rabougri ; la chair, sur son crâne à la large ossature, s’était tassée. Il passait de longues minutes à clignoter face au ciel, reniflant avec précaution les odeurs qui flottaient autour de lui. Sans se rendre compte, il se reniflait lui-même. Quarante heures s’étaient écoulées depuis qu’il avait été blessé, et il s’était maintes fois souillé, il avait saigné et transpiré, il avait même absorbé les odeurs moites du sol où ils campèrent la nuit précédente. Il remua la bouche, grimaçant faiblement de dégoût. « Dis, vous puez. »
    Ils l’entendirent sans lui prêter attention, avalant l’air avec effort. De même qu’ils avaient pris l’habitude de vivre dans la jungle et d’être toujours trempés, de même qu’ils avaient oublié le goût d’un vêtement sec, tout de même ils ne se souvenaient plus comment l’on respire librement. Ils n’y pensaient pas ; ils ne pensaient certainement pas à la fin de leur voyage. Il était désormais l’expression même de leur existence.
    Goldstein s’était réveillé assez tôt pour bricoler à un petit dispositif de son invention. C’était surtout l’engourdissement de leurs doigts qui ralentissait leur avance. Au bout de quelques instants de marche peu à peu leurs mains se mettaient à lâcher prise. Il coupa les courroies de son sac, les lia bout à bout et, les ayant

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