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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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venait, une sourde et insondable terreur.
    Et, simultanément, ils voulaient abandonner ; ils y aspiraient avec plus de force qu’ils n’eurent jamais mis à rien désirer. Tout pas qu’ils faisaient, toute crampe dans leurs muscles, tout lancinement dans la poitrine, exaltaient cette volonté. Ils s’avançaient, mus par une muette, une cuisante haine pour l’homme qui les menait.
    Croft était presque tout aussi exténué ; il jouissait des haltes tout autant que les autres, il consentait à demi que chaque arrêt s’étirât au double du temps primitivement prévu. Il avait oublié le pic de la montagne, il voulait abandonner lui aussi, et toutes les fois qu’une halte venait à fin il se livrait à une brève bataille contre lui-même, contre la tentation d’un repos prolongé – puis il reprenait la marche. Il allait de l’avant parce que quelque part au fond de son esprit une disposition impérative l’y obligeait. Il avait arrêté sa décision dans la vallée, et cette décision reposait dans sa tête comme une amarre de fer. Il ne lui eût pas été plus facile de faire demi-tour que de se suicider.
    Tout au long de l’après-midi ils continuèrent à se pousser de l’avant, tantôt sur des pentes douces, tantôt de rocher en rocher. Ils passaient d’une falaise à une autre, trébuchaient douloureusement sur des côtes taillées en écharpe. perdaient pied sur des escarpements faits de glaise humide. La montagne se dressait toujours au-dessus d’eux, incommensurable semblait-il. Ils en entrevoyaient les pentes successives à travers le brouillard de leurs efforts, ils se suivaient les uns les autres par tours et détours, et ils clopinaient avec une sorte de gratitude si d’aventure le terrain devenait-plat pour un moment.
    Minetta et Wyman et Roth étaient les plus misérables. Il y avait plusieurs heures qu’ils se traînaient au fin bout de la colonne, emboîtant le pas avec la plus grande difficulté, et un lien de solidarité s’était établi entre eux trois. Minetta et Wyman avaient de la peine pour Roth. Ils étaient touchés par son épuisement, qui excédait même le leur. Et Roth, sachant qu’ils ne le méprisaient pas, sachant que leur prostration était à peine moindre que la sienne, Roth se tournait vers eux avec confiance.
    Il était en train de fournir l’effort le plus intense de sa vie. Tout au long des semaines et des mois passés dans la section il avait accusé de plus en plus douloureusement insultes et rebuffades. Au lieu d’y devenir indifférent ou de s’armer d’un bouclier protecteur, il n’avait cessé de s’y montrer toujours plus vulnérable. La patrouille l’avait tendu au point où l’expectative d’une réprimande lui devenait insupportable, et il se poussait en avant avec lu certitude que s’il s’attardait trop la colère et le ridicule s’abattraient sur lui.
    Mais, en dépit de tout, il s’effondrait. L’’instant approchait. où ses jambes allaient lui manquer. Même ù I arrêt elles étaient sur le point de plier sous lui. Vers la fin de l’après-midi il commença à défaillir. Ce fut une lente affaire, échelonnée sur une série de glissades, de faux pas, de chutes, au bout de quoi finit par s’écrouler tout à fait. Lors de ses premières défaillances, tandis qu’il parvenait encore à se ramasser et à rejoindre le gros de la colonne, les autres, heureux de pouvoir reprendre haleine, l’attendaient presque avec reconnaissance. Mais ses chutes se faisaient plus fréquentes et ses retours plus longs. Il s’avançait à peu près inconscient, et ses jambes gondolaient sous lui. Au bout d’une demi-heure, il fut incapable de se relever sans assistance, et il oscillait alors, incertain comme un bébé qui risque ses premiers pas. Il tombait même comme un bébé ; ses jambes se pliaient et il s’asseyait sur ses cuisses, un peu abasourdi de constater qu’il ne marchait plus.
    Peu à peu les hommes commencèrent à s’irriter. Croft ne leur permettait pas de s’asseoir en attendant que Roth reprît l’usage de ses membres, et cela les exaspérait. Ils se mirent à guetter l’instant de ses chutes, dont le retour inévitable leur écorchait les nerfs. Leur ressentiment contre Croft se reportait sur Roth.
    La montagne devenait dangereuse. Depuis une dizaine de minutes Croft les conduisait à même les flancs d’une falaise verticale, le long d’une corniche rocailleuse dont la largeur excédait à peine quelques

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