Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
annuelle, la nourriture, le logement, et la permission d'aller à ses frais passer l'hiver à Lyon ou à Dijon. De nouveau on le détournait de ses rêves d'étude qui n'étaient peut-être, il est, vrai, qu'un prétexte pour aller s'amuser à Lyon. C'est que l'oncle, de plus en plus méfiant, commençait à s'inquiéter de cette jeune imagination débordante.
L'enfant finit par prendre son parti de cette demi-promesse, et se remit avec ardeur à la lecture et au travail ; tout le printemps et l'été se passèrent dans une solitude absolue, à Mâcon, à Milly et à Saint-Point. «Voici trois mois, écrit-il en juin à Virieu, que mon genre de vie est le même absolument : travail, lecture, correspondance et petite promenade solitaire entre les huit ou neuf heures.» Un tel régime finit pas fâcheusement influer sur ses nerfs ; des idées tristes l'envahirent bientôt ; en août, même, il tomba malade, crachant le sang, accablé de violents maux de tête, et la crise morale se fit plus aiguë : «Oui, j'ai pleuré, écrit-il un jour à Virieu, moi qui ne pleurais plus, un peu de regret de cette partie manquée, un peu en voyant la sympathie de nos peines, de nos idées, de nos tourments, de nos désirs, et de ce feu sacré qui commence à te brûler comme moi, ces projets vagues, cette tristesse, cette paresse, cette vie au milieu de la mort». Et les lettres se suivent, de plus en plus désespérées ; le vague de son existence présente et future le fait languir et mourir ; il devient sage, indifférent, philosophe sur bien des choses, il est fou, désespéré, enragé sur beaucoup d'autres... ; il devient «ours» et parle de se brûler la cervelle, car il ne peut plus supporter la vie du plus plat, du plus ignorant bourgeois de petite ville :
«Ô beaux rêves que nous faisions bien éveillés à neuf heures du soir sous les tilleuls de Belley, riches projets, riante perspective, avenir incomparable, où êtes-vous ?...»
Telle fut la première crise morale ; il en connaîtra d'autres jusqu'en 1820 et toutes chez lui auront le même dénouement : dans les plus affreuses détresses, un rien suffira pour lui rendre l'équilibre.
Car Virieu finissait par s'inquiéter de cette exaltation et de ce découragement ; il lui proposa alors, pour le changer d'air, de venir passer quelques jours chez lui au Grand-Lemps et, brusquement, la correspondance change de thème : à la mélancolie la plus sombre, succède un enjouement imprévu ; toute la vie de Lamartine sera faite de ces contrastes et de ces revirements, dont il est parfois difficile de saisir les motifs. Mais, cette fois, il jouait de malheur : au moment du départ son père se cassa la jambe, et il fut obligé de le remplacer—car c'était l'époque des vendanges—«en ayant l'air de trouver cela tout naturel».
Alors, il s'étourdit, profita de l'animation passagère du pays pour mener une «vraie vie de fainéant et d'insouciant, une vie banale et commune comme celle de tous les désœuvrés et les imbéciles du monde, visites, bals, soupers, promenades et je ne sais quoi».
Dans l'état où il se trouvait, il était à point pour devenir amoureux, et n'y manqua pas ; cela dénoua la crise. Comme de juste, il aimait quelqu'un qui ne pouvait pas l'aimer ; avec l'imagination qu'on lui connaît, «le voilà pris, le voilà mort».
L'objet de sa passion n'était pas une beauté, mais «toute l'amabilité, toute la sagesse, toute la raison, tout l'esprit, toute la grâce, tout le talent imaginable ou plutôt inimaginable», et empruntant à nouveau le vocabulaire de Chérubin—c'était de son âge,—il terminait lyriquement :
«J'en mourrai ! je le sais ! aimer sans espoir, ah ! comprends-tu un peu cela ?»
La pauvre mère, qui elle-même avait encouragé son fils à une innocente correspondance en vers avec la jeune fille de leur médecin de Milly, le docteur Pascal, s'épouvanta des suites de son imprudence, et elle écrivait le 16 décembre 1809 : «Mes nuits ont été mauvaises, ce qui a été occasionné par un chagrin que je ne puis mettre ici mais qui a été très vif, et dont la cause n'est pas encore passée ; c'est au sujet de mon fils, et ce qui me peine le plus, c'est que je ne peux demander conseil à personne, et que j'ai peut-être quelque reproche à me faire...» ; et quelques jours après elle ajoutait encore : «Alphonse m'inquiète toujours beaucoup, des passions commencent à se développer, et je crains
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