Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
et ses projets de travail lui revinrent à l'esprit ; il en prit son parti, ne regretta rien, mais ne s'en tint pas quitte, se réservant pour Milly où il prévoyait bien qu'un cruel ennui allait l'accabler à nouveau : là-bas, «l'imagination et son livre anglais» le dédommageraient de tout.
Ce petit séjour à Lyon marque une date dans la jeunesse de Lamartine ; au retour, les dernières traces laissées par l'enseignement de Belley ont disparu, remplacées par le goût du plaisir, de la dépense, et l'horreur de la contrainte familiale. «Les ébauches littéraires vont se ressentir de ce nouvel état d'esprit.»
Lamartine, on l'a vu, était de retour à Mâcon le 18 mai. Le 19, nous le trouvons à Milly, plus désœuvré et enfiévré que jamais, s'ennuyant dans son «trou», seul avec ses livres, sa plume «que rien ne stimule», son imagination qui le tourmente. La mère, comme toujours, cherchait à excuser son humeur un peu vive, «car il est assez naturel à un jeune homme sans occupations forcées de s'ennuyer à la campagne». Mais, cette fois, c'était lui qui ne voulait plus s'occuper.
Bientôt, les idées sombres l'envahirent à nouveau et ses lettres d'alors sont pleines d'une philosophie qu'il essaye de rendre résignée, mais où percent le dégoût, l'amertume et la détresse [«Beaucoup de mes rêves, toutes mes espérances s'évanouissent chaque jour, c'est comme les fantômes qu'on se fait la nuit et que le premier rayon du jour dissipe ou réduit à leur juste valeur. Et toi, mon cher ami, tu es donc aussi comme moi, tu vois que nous avions rêvé, rêvé d'une société à notre guise, rêvé la gloire, rêvé l'amour, rêvé des femmes comme il devrait y en avoir, rêvé des hommes comme il n'y en aura jamais...» Cette lettre, datée de Milly, 14 mai 1810, est mal classée : en effet, nous savons par le Journal intime que le 14 mai Lamartine était encore à Lyon ; mais comme il écrit à Virieu dans le courant de cette lettre : «Je vais partir dans une quinzaine de jours passer quelques semaines à Dijon», et qu'il y arriva le 2 juillet, on peut en conclure qu'elle est du 14 juin.] : à Milly, à Saint-Point, à Montceau, il traîne son oisiveté sous l'œil agacé du père.
Enfin, nerveux, mal à l'aise, il partit le 2 juillet à Dijon chez l'abbé, où il retrouva un peu d'équilibre et de tranquillité. Ce furent des lectures sans ordre, comme toujours : Montaigne, Mme de Staël, le prince de Ligne, Young et Jean-Jacques ; des paresses sans fin dans les herbages ou dans la thébaïde. Les choses auraient été fort bien sans «les diables de soucis de l'avenir», qui reviennent troubler sa paix de temps à autre, et «cette tête, écrit-il à Virieu, que tu connais aussi bien que moi». Puis, apprenant que son père et sa mère allaient arriver pour le mois d'août à Montculot, il s'empressa d'en déguerpir, sous prétexte de mettre en train les vendanges, mais en réalité, semble-t-il, pour chercher le repos et fuir sa famille.
Seul à Milly, il reprit sa vie renfermée ; rêveur, ennuyé de la vie, il fit ses délices du fade et mathématique Traité de la solitude de Zimmermann, se plongea dans Werther, dont, écrit-il à Virieu, il est souvent tenté d'imiter la fin.
Sans grand enthousiasme, il essaya aussi de prendre part au concours des Jeux floraux, mais l'affaire, comme toujours, ne fut qu'un projet. Enfin, quand les Lamartine regagnèrent Milly au début d'octobre, il partit précipitamment pour Crémieu, chez Guichard, malgré sa mère, qui commençait à s'inquiéter de cette nouvelle coïncidence de son départ et de leur arrivée. Il y demeura jusqu'au 7 novembre.
Il revint du Dauphiné apaisé et moins sauvage ; en novembre, Mme de Lamartine a noté quelques bals à Maçon où il reste «fort tard» et, pour le retenir, elle se décida un peu à contre cœur à organiser de petites soirées à Milly, «heureuse, dit-elle, quand je le vois ainsi s'amuser sous mes yeux».
Puis il s'installa à Mâcon dans les premiers jours de décembre, bien à regret, mais il était sans ressources pour recommencer l'hiver de l'année précédente. Il flânait le soir au théâtre de la ville, se montrait assidu aux bals. Sa mère, que l'expérience aurait peut-être dû rendre plus méfiante, mais qui redoutait surtout de le voir vivre trop en lui-même, l'y encourageait innocemment sans prévoir les conséquences fâcheuses pour son repos qui devaient suivre «cette
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