Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
obstacle au mariage qu'il avait projeté. D'autre part, sa naissance confirme ce qu'il a dit lui-même en écrivant qu'elle tenait d'un côté à la noblesse du pays et de l'autre à la bourgeoisie.
Au dire de ceux qui les ont connus, les Pommier étaient d'honnêtes et simples gens : Mme Pommier était une excellente femme très vive et très spirituelle et qui, à quatre-vingts ans, montrait encore dans le monde de fort belles épaules. Sa demeure était située face à l'hôtel de ville de Mâcon devant lequel une sentinelle montait alors la garde ; pour se délasser de ses longues insomnies, elle entamait parfois une conversation avec le factionnaire et ces duos nocturnes faisaient la joie des salons mâconnais.
Sa fille était à vingt ans une merveilleuse créature : M. Duréault, qui a tenu entre les mains sa miniature exécutée à l'époque, et même un de ses souliers de bal, affirme que le portrait laissé d'elle par Lamartine est fort ressemblant et que «sa beauté pensive, sa taille mince, sa démarche svelte, la grâce de ses bras, l'inimitable délicatesse de ses pieds, la langueur morbide de son cou, son sourire à la fois charmant et mélancolique» sont autant de détails fidèles et qui n'ont pas été exagérés par le poète.
Les jeunes gens se rencontrèrent en soirée, à l'un de ces bals où nous avons vu fréquenter le jeune homme pendant l'hiver 1810-1811.
Dans les Mémoires inédits, Lamartine n'a nommé leur hôtesse que de son initiale : c'était Mme de la Vernette, femme de Pierre-Bernard de la Vernette, ancien capitaine au régiment de Navarre et chevalier de Saint-Louis, qui, très mondaine et lettrée, recevait dans ses salons l'élite de la société de la ville ; les jeunes dansaient, disaient des vers ; les hommes causaient littérature et politique : un soir, Henriette Pommier dont la voix était fort belle se mit au piano, et Lamartine céda au charme [Les Mémoires inédits nous apprennent qu'un certain M. F. C., domicilié à Saint-Clément-lès-Mâcon, aurait joué un rôle assez étrange dans l'aventure, soit qu'il favorisât les entrevues des jeunes gens chez lui, soit qu'il se proposât comme ambassadeur. Les souvenirs de Lamartine sont-ils en défaut sur ce point ? Il n'y avait en effet, en 1811, aucun M. F. C., propriétaire à Saint-Clément.].
C'est au début de février 1811 que Guichard reçut la confidence de cette passion naissante et il faut noter que, d'après la Correspondance, l'austère Virieu ne fut pas tenu au courant de tous les détails de l'aventure. À cette date, l'amoureux n'avait pas encore osé se déclarer et le roman en était d'ailleurs à ses premières pages, puisqu'il annonçait à son ami qu'il allait faire «un de ces jours» une pathétique déclaration et serait ensuite soulagé «en grande partie». Mais, incapable qu'il était de se maîtriser, les salons de Mâcon commencèrent à s'étonner de son assiduité auprès de la jeune fille. Faut-il croire ici que l'oncle, connaissant le caractère fantasque du neveu, ait tenté une diversion en le faisant admettre à l'Académie de Mâcon malgré ses vingt ans [Sur Lamartine à l'Académie de Mâcon, cf.Reyssié (op. cit.), qui a publié les procès-verbaux de sa réception, et le Compte rendu des travaux de cette société pour 1811, où l'on trouve une analyse de son discours ; il avait pris pour sujet : De l'étude des langues étrangères.] ?
L'hypothèse n'aurait rien d'invraisemblable, en tenant compte des idées de Louis-François, qui jusqu'ici n'avait guère encouragé les goûts littéraires de l'adolescent. Quoi qu'il en soit ce fut peine perdue, sa devise du jour étant : Rien ne m'est tout (?), tout ne m'est rien. Sa détresse, qu'il exposait avec complaisance, entra alors dans la phase mélancolique : Ossian, Young et Shakespeare voisinèrent sur sa table et il errait, à l'en croire, à travers la campagne avec son chien, pleurant «comme un enfant» à la lecture de Sterne. Virieu—qui semble ignorer encore les causes de cette nouvelle désespérance—s'en inquiéta et lui arracha le serment de ne pas mettre fin à ses jours, ce qui lui fut accordé somme toute avec assez de bonne volonté.
Il faut croire que mars avait vu sa déclaration ; le 2 avril, en effet, il écrivait à Guichard une lettre enflammée : «Oui, mon ami, plains-moi, pleure sur moi ! je suis bien digne de quelque pitié. J'aime pour la vie, je ne m'appartiens plus et je n'ai nulle
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