Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
monuments. Au fond, ce voyage était très littéraire, ce qui l'enchanta, tout pénétré qu'il était alors de l'Oswald de Corinne. Mais il partait pour l'Italie en touriste, le crayon à la main, plus soucieux au début de chercher des impressions que de les laisser venir à lui d'elles-mêmes ; sa Correspondance et son bref carnet de voyage sont là pour en témoigner. Huit ans plus tard, Lamartine mûri et désenchanté eût été séduit par bien des détails qui en 1811 le laissèrent indifférent. Ce qu'il aima surtout dans ce séjour fut l'indépendance qu'il lui procura ; les nuances, la poésie un peu triste des choses lui échappèrent complètement. Parfois on rencontre dans ses notes quelque froide réminiscence de Chateaubriand ou de Volney dont sa prose essoufflée essaye en vain d'imiter le rythme ; à Naples enfin, la contrainte qu'il s'était imposée lui devint insupportable et il abandonna Pétrarque, qu'il s'efforçait de lire sans y comprendre grand'chose ; grisé de lumière et de liberté, il fut jeune, insouciant, avide de plaisir et se laissa vivre indolemment. Nous retrouverons cet état d'âme en 1822 : Ischia, Philosophie, le Passé, la suave Élégie des Nouvelles Méditations, appartiennent à la même inspiration que l'Hymne au Soleil, À Elvire et le Golfe de Baia.
Sans doute, on peut faire avec justesse des rapprochements entre divers passages du Carnet et certains fragments des Méditations ; mais ces réminiscences nous paraissent trop directes, surtout si l'on tient compte du peu de précision de Lamartine, pour ne pas admettre qu'ayant eu en 1819 à décrire quelques monuments ou aspects d'Italie, il ait alors fait appel à ses notes de voyage, rédigées autrefois dans un vague but littéraire. Quoi qu'on puisse dire, Pétrarque et Lamartine n'ont pas de rapports. Pétrarque chanta l'amour idéal ; après le Lac, Lamartine pleura l'amour impossible et par la force des choses finit par tourner au pétrarquisme, pétrarquisme infiniment plus humain, pourrait-on dire, que celui du maître italien. Du fait que nous possédions un petit Pétrarque ayant appartenu au poète, dont un sonnet au moins fut traduit par lui, il serait imprudent de conclure à une influence aussi profonde que celle d'Young, car les traductions de poètes étrangers, auxquelles il s'astreignit souvent dans sa jeunesse, ne furent jamais pour lui que des exercices de versification. Il n'existe dans son œuvre aucune ambiance italienne mélancolique ou douloureuse, car il ne connut l'Italie qu'à des moments d'accalmie et d'insouciance où ses maîtres furent Horace ou Catulle et non pas Pétrarque.
En 1811, Lamartine quittait la France obsédé par les souvenirs de Chateaubriand et de Mme de Staël et cet état d'esprit persista pendant la première partie du voyage ; à Rome, on voit par le Carnet qu'il commençait déjà à lutter contre eux ; à Naples, enfin, il s'en libéra complètement et ses vingt ans reprirent le dessus. Il s'abandonna, ébloui, enchanté, et au thème de la vie trop longue succéda celui de l'heure trop brève. Il est regrettable qu'il ait brûlé plus tard toutes les poésies écrites à cette époque, mais cet autodafé indique qu'elles devaient différer de sa seconde manière ; pourtant les trois Méditations que nous avons nommées, les seules qu'il conserva, prouvent suffisamment qu'au cours de ce séjour en Italie il lut, goûta et comprit surtout les élégiaques latins.
Lamartine et ses compagnons de route quittèrent Lyon le 15 juillet et la veille Mme de Lamartine écrivait dans son journal :
«Alphonse doit demain partir pour l'Italie ; ils vont en voiture à Livourne où M. de Roquemont a une maison de commerce ; ils y resteront deux à trois mois. De là, ils iront à Rome et peut-être à Naples. C'est un charmant voyage pour mon fils et j'espère qu'il sera profitable à sa santé qui n'est toujours pas très forte. Mais il sera au moins très utile en ce moment pour occuper un peu l'activité de sa tête et de son imagination de vingt ans.»
À Chambéry où il s'arrêta trois jours, il rencontra Virieu et se rendit avec lui en pèlerinage aux Charmettes ; puis, les voyageurs prirent le chemin de Livourne en passant par Turin, Milan, Bologne, Parme et Florence.
Les premières impressions sont assez décevantes : «Ah ! le triste pays que l'Italie, écrit-il à Virieu, si on veut y vivre avec les vivants ! aucune politesse, aucune prévenance,
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