Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
espérance de bonheur quoiqu'étant payé du plus tendre retour ; tout nous sépare, quoique tout nous unisse, je vais prendre incessamment un parti violent pour obtenir sa main à vingt-cinq ans.» Le «parti violent» fut de s'ouvrir à la famille de ses projets, et l'on peut penser, comme il l'a dit, qu'ils furent mal accueillis. Il était sans position, la dot de la jeune fille assez mince, et l'alliance Pommier ne tentait guère l'aristocratique Louis-François. Les Lamartine furent inébranlables, et il n'obtint pas même, cette fois, la demi-promesse qu'on lui accordait d'habitude, en laissant au temps ou à quelque nouvelle chimère le soin d'apaiser son imagination.
Voici pourtant chez lui l'indice d'une passion sérieuse : malgré tout son amour de l'indépendance, écrivait-il à Guichard, il se décidera à travailler.
Le projet était encore assez vague puisqu'il s'agissait de solliciter à l'automne un emploi quelconque dans le gouvernement. Mais l'intention connut même un semblant d'exécution. Le 24 avril, sa mère a en effet noté qu'au cours d'une visite à Champgrenon chez les Rambuteau il se fit présenter au comte Louis de Narbonne, ministre de France en Bavière, qui le reçut avec amabilité et l'engagea à venir à Paris, où il lui trouverait une situation. «Tout cela peut avoir plus de danger, peut-être encore, que d'utilité», ajoute Mme de Lamartine. Ainsi, bien qu'elle semble s'être fait un scrupule de rester neutre dans la question,—c'est la seule allusion à Mlle Pommier que l'on rencontre dans son journal—on voit qu'elle n'était pas favorable à ce mariage et préférait encore voir son fils inactif.
La résistance qu'il rencontrait ne fit qu'aggraver, comme toujours, son exaltation, et il décida d'employer la suprême ressource : ne pouvant rien obtenir qui lui donnât l'assurance d'une «libre aisance», il entrera dans l'armée «et essaiera de se faire tuer, ou du moins, ajoute-t-il prudemment, d'acquérir un grade qui le fera vivre, sa femme et lui». Il disait sa femme, «parce que je la regarde comme telle et que rien au monde ne peut nous séparer».
L'affaire devenait sérieuse, mais les Lamartine tinrent bon. Usant d'une tactique qui leur avait déjà réussi, ils l'expédièrent bon gré mal gré à Montculot vers la fin d'avril. Le 20 mai il était de retour, dégoûté de la Bourgogne qu'un «tendre attachement» ne parvenait même pas à lui faire aimer, toujours cruellement amoureux, et proclamant tout haut l'éternité de ses sentiments en même temps que la barbarie de sa famille.
À l'en croire même, Mme Pommier serait venue alors trouver les Lamartine pour leur soumettre avec beaucoup de loyauté une lettre d'Alphonse à sa femme, où il jurait que rien ne pourrait les désunir. À tout prix, cette fois, il fallait l'éloigner ; mais sur ce point il était intraitable, à moins, sans doute, d'une occasion exceptionnelle. Il s'en présenta une qui le fit réfléchir.
Le 22 mai, Mme de Roquemont et sa fille Mme Haste, qui revenaient de Paris, s'arrêtèrent quelques jours à Mâcon. Mme de Roquemont, de tout temps la confidente de sa cousine, fut mise au courant de la situation : Mme de Lamartine lui représenta «la maladie de nerfs» d'Alphonse, «la vivacité de son âge et son imagination», en même temps que ses conséquences actuelles. Mais que faire ? elle ne voulait pas entendre parler d'un long voyage sans contrôle possible, et préférait encore le voir à Mâcon près d'elle ; que deviendrait-il, une fois seul, avec cette imagination ardente ?
M. et Mme Haste, prêts à partir pour l'Italie, s'offrirent alors avec beaucoup de bonne grâce à tirer leurs cousins d'embarras en emmenant le jeune homme avec eux, et tous les Lamartine furent d'accord pour saisir une telle occasion ; les deux oncles et les trois tantes fournirent chacun vingt-cinq louis, et cette fois avec empressement, tandis que le père complétait de son mieux la somme nécessaire. Le plus difficile restait à faire : il s'agissait maintenant de décider le jeune amoureux.
Au premier mot qu'on lui en toucha, il n'eut pas, d'après sa mère, la moindre hésitation, et sauta littéralement de joie. Depuis deux ans l'Italie était un de ses rêves, et il sacrifia sans regret l'autre pour celui-là, plus neuf et immédiatement réalisable.
«Il faut bien que je rompe les liens les plus doux, écrit-il aussitôt à Guichard, que je me condamne pendant sept ou huit mois à
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