Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
Rousseau l'effrayera toujours pour des motifs qu'elle n'explique pas, mais qu'on devine : sa vie privée, l'anarchie politique et religieuse dont elle le rend responsable, et son «abominable philosophie» qui synthétise à ses yeux l'esprit du xviiie siècle.
Lamartine, on le voit, eut donc quelque mal à faire ses lectures ouvertement ; d'ordinaire, il emportait son livre en promenade ou s'enfermait dans sa chambre. À Milly et à Saint-Point d'ailleurs, il n'y avait pas de bibliothèque ; à Mâcon et à Montceau, celles de son oncle étaient importantes, mais il n'en avait pas la disposition ; il lui restait le cabinet de lecture de Myard, à Mâcon, où sa mère nous apprend qu'il était abonné en 1808, et Montculot, où l'abbé avait entassé deux mille volumes qu'il légua plus tard à son neveu.
Il y ajoutera les contemporains, les nouveautés, bons ou mauvais livres, et en général tout ce qui lui tombera sous la main.
C'est le séjour à Crémieu, en octobre 1808, qui marqua le début de sa fièvre littéraire. Dans quelles conditions, maintenant, va-t-il s'assimiler ces lectures faites sans direction et sans critique, et quelle influence vont-elles avoir sur la formation de sa personnalité ? Une théorie séduisante et facile même à appuyer sur des faits serait de prétendre qu'il en goûta seulement les mauvais côtés, se dirigea surtout vers Parny et son école et qu'il lui fallut la crise morale des années 1817-1819 pour se libérer entièrement de leurs derniers souvenirs. Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que la vérité soit ailleurs.
Certes, une des contradictions les plus singulières de la Correspondance est assurément ce mélange, à première vue inconciliable et quelque peu incohérent, d'impromptus, de pièces d'almanach, d'épîtres pompeuses, et de peintures mélancoliques ou désespérées de ses souffrances morales. Mais c'est qu'à cette époque, et pour longtemps encore, Lamartine qui, on l'a vu, rêva très tôt de se faire un nom dans les lettres, tenait pour bonne la fameuse formule que les classiques opposeront plus tard à la débordante facilité des romantiques : hors de l'ordre moral, point de véritable mérite littéraire ; il ne pourra donc s'imaginer la gloire sous une autre forme que celle de pièces fugitives, toujours à la mode, d'interprétations plus ou moins fidèles d'un poète étranger, d'une tragédie bien régulière, d'un poème épique laborieusement rimé. Et nous avons la preuve de cette conception du métier littéraire par quelques odes intercalées plus tard dans les Méditations : le Génie, l'Enthousiasme, et le Poète exilé.
Le contraste ne manque pas aujourd'hui d'un certain piquant lorsqu'on voit naître peu à peu dans la Correspondance les premières Méditations, jalousement cachées comme des essais intimes et trop personnels, tandis que Lamartine court Paris un Saül ou une Médée sous le bras :
«Je vais me remettre au grand ouvrage de ma vie, écrit-il en 1816 à son ami Vaugelas ; si je réussis, je serai un grand homme ; sinon la France aura un Chapelain ou un Cottin de plus». Le grand ouvrage, ce n'était pas, comme on pourrait le croire, ses Méditations, mais un poème épique sur Clovis, qui l'occupa jusqu'en 1820. Bien mieux, au moment où il se décidera à publier, presqu'à contre-cœur, les Méditations, ce fut sans les soins amoureux du poète pour son premier-né [Toute l'année 1819 fut occupée par des projets de tragédies et de poèmes épiques : Saül, Clovis, Jepté, Sapho, etc. ; enfin sa maladie et son mariage accrurent encore l'indifférence qui accompagna la publication des Méditations, en sorte que l'édition fut très peu soignée ; des vers furent tronqués et d'autres omis.], et pour essayer de «lancer» ses tragédies.
Que conclure de cette perpétuelle violence à ses sentiments véritables, sinon que ses premiers essais furent conçus seulement dans le but défini d'atteindre à la célébrité, et qu'il renfermait soigneusement en lui les troubles et les détresses dont débordent ses lettres ?
C'est pourquoi, au cours de ses lectures, il ne s'enthousiasmera pas pour ceux qu'il imitait par métier ; au contraire son ardeur, lorsqu'il s'agit de Rousseau, d'Young, d'Ossian, de Mme de Staël et de Chateaubriand, prouve que ceux-là furent les véritables éducateurs de sa pensée et qu'il leur doit presque tout de ses aspirations tourmentées et insatisfaites [Cf., sur
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