Les panzers de la mort
lèvres : – Où sont les Russes ?
Pendant des jours entiers l’armée allemande en débandade et l’armée civile des fuyards avaient traversé Velensky. La peur poignait chacun au ventre : peur des Russes qui attaquaient là-bas, peur de l’effondrement total, peur des blindés qui perçaient çà et là, écrasant en un instant une colonne de réfugiés, peur des avions qui semaient les flammes de la mort. Il y avait aussi l’épuisement la faim, la tempête, le froid, la pluie, la maladie, les voitures inutilisables, le souvenir, de la maison abandonnée, la pensée des morts, le travail d’un demi-siècle qui flambait au loin.
– Du lieber Gott ! Bosche ! Mon Dieu !
Le nom du Créateur monte vers le ciel dans toutes les langues, mais Rien n’y fait. Les blindés hallucinants avancent toujours sur la terre gorgée de sang.
Une des infirmières avait trouvé un peu de morphine qu’elle donna à la mère des jumelles et de notre côté nous nous étions procurés du lait.
Puis, Il fallut repartir mais des centaines de mains suppliantes se tendaient vers nous : – Emmenez-nous ! Pour l’amour de Dieu, ne nous abandonnez pas !
En échange d’un peu de place on nous offrait des choses invraisemblables. Des. grappes humaines escaladèrent le blinde ; Il y en avait partout, sur la tourelle, par-devant, par-derrière, sur les lance-grenades, le long des grands canons, assis comme des hirondelles, épaule contre épaule. Jurons et cris, menaces, imprécations, tout leur était indifférent. La terreur suscitée par ceux qui nous talonnaient, était infiniment plus grande que celle qu’inspiraient nos armes. Alte hocha la tête avec découragement : – Seigneur, est-ce qu’il va falloir se battre !
Nous embarquâmes quelques enfants avec nous, puis panneaux verrouillés, la marche à la mort commença.
Quelques kilomètres plus loin la route déboucha sur une ligne de chemin de fer, aux abords de laquelle se trouvaient quatre autres chars. Ils appartenaient au 2 e régiment, et comme nous, avaient perdu toute liaison avec leur compagnie. Un lieutenant de dix-huit ans prit le commandement des cinq voitures et ordonna aux réfugiés de descendre, mais pas un seul d’entre eux n’obéit ; bien au contraire, Ils s’agrippaient de plus en plus nombreux sur les véhicules.
Le jeune lieutenant regagna sont poste en se glissant sur le panneau inférieur, car Il y avait tant de réfugiés sur la tourelle, qu’il était hors de question d’ouvrir le panneau supérieur. Il annonça par radio que notre seul chemin passait sous la voie et que le tunnel, très étroit, était déjà bien juste pour les chars. Tous les occupants devaient donc descendre s’ils ne voulaient pas être fauchés par la voûte, mais Il leur était formellement promis de remonter sur les voitures, une fois le tunnel passé. Peine perdue ! Ils firent la sourde oreille, personne ne voulait bouger et même les femmes dont les enfants avaient déjà dégringolé du char restaient rivées à leur place.
La première voiture s’engagea dans une pente très raide en se balançant à tel point que quelques réfugiés perdirent l’équilibre et tombèrent. A la dernière minute Ils se redressèrent sur le talus sauveur, presque sous notre char qui arrivait avec fracas, incapable de freiner sur ce chemin glissant, incliné à 35 0 . Pétrifiés, nous vîmes le premier blinde s’enfoncer dans l’étroit tunnel où les malheureux étaient soit écrasés entre le béton et l’acier, soit violemment projetés à terre. Porta se Cramponnait à ses freins mais le 65 tonnes dérapait, implacable, vers la masse grouillante et hurlante de terreur qui fut, en une seconde, broyée sous les chenilles.
A la vue de ce spectacle plusieurs des fuyards accrochés à notre propre voiture sautèrent en hâte sur le sol, mais trop tard ! le 3 e char ne pouvant les éviter les écrasa à son tour. Quelques-uns de ces infortunés essayèrent de s’aplatir entre les blindés et la paroi du tunnel ; Il furent réduits en une bouillie gris rouge qui coulait le long du mur comme une épaisse peinture. Un petit garçon en larmes se jeta à la tête de notre char pour empêcher d’écraser sa mère qui gisait sans connaissance sur le sol. Sa petite figure terrorisée disparut comme celle d’un noyé, happée par l’avant du blindé.
Le char crissait, vibrait et semblait avancer dans une matière savonneuse qui n’était autre que la masse
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