Les panzers de la mort
Aujourd’hui, c’est le jour des pois cassés, et si on n’est pas rentré pour midi, on pourra se l’accrocher pour en avoir !
– Ah ben ! vous êtes des durs, s’écria le gros gefreiter. Penser à bouffer devant ce qui vous attend ! Moi j’en ai eu la colique vingt fois cette nuit, tellement que ça me rend malade !
– Pauv’chou, Ricana Porta, vous autres « les pieds sensibles » vous devez tourner de l’œil quand ça barde un peu !
– Iva ferme, Porta ! espèce de dégueulasse, commanda Möller.
Devant la trogne mauvaise de Porta, l’équipe de gardiens s’écarta avec nervosité, comme s’ils avaient peur de notre contact. Un bruit de clefs nous parvint du bureau voisin, une femme Cria, puis se tut. Porta alluma une cigarette d’opium, Stege se balançait sur ses genoux examinant ses lourds brodequins bien cirés ; un fantassin assis à la table, crayonnait un morceau de buvard. L’atmosphère était aussi électrique que l’attente d’un orage, à la campagne, au mois d’août.
La sonnerie du téléphone nous fit sursauter. L’obergefreiter se redressa avec une lourdeur d’esclave et décrocha :
– Oui, monsieur le greffier, le commando est ici. Oui, la famille sera prévenue suivant les ordres. Rien de spécial à ajouter. – Il raccrocha. – On vous attend, là-bas, à Senne, dit-il avec effort.
– C’est tout comme un mariage à la mairie ! dit Pluto. Tout le monde attend. Qu’on en finisse, bon Dieu. Ça rend nerveux !
Il parlait encore que la porte s’ouvrit, livrant passage à une téléphoniste de l’armée, accompagnée d’un sous-officier d’un certain âge, tous deux vêtus de treillis qu’on met pour le service de la caserne. Derrière eux, venaient le feldwebel de cavalerie, et, portant des documents sous son bras, Paust dont les yeux bleus délavés avaient des tiraillements nerveux.
Le feldwebel ouvrit le protocole et demanda :
– Si vous avez des réclamations à faire, c’est le moment.
Les prisonniers ne répondirent pas, mais regardèrent effarés le groupe que nous formions, avec nos fusils et nos casques d’acier. Inconscients, ils signèrent le protocole placé devant eux, après quoi, le feldwebel leur serra la main en leur disant adieu.
Encadrant les prisonniers, nous quittâmes la prison. Ceux du camion aidèrent poliment la jeune fille à y monter, bien que le vieux sous-officier semblât avoir plus besoin d’aide. La grosse voiture démarra d’une secousse, sous le regard hostile des sentinelles, et prit en cahotant le chemin de Sennelager.
Le début du voyage se passa sans un mot ; nous regardions intimidés, les deux prisonniers. Ce fut Pluto qui rompit le Silence, en leur offrant une cigarette opiacée.
– Prenez ça. Ça fait du bien
Tous deux, avidement, prirent les cigarettes et se mirent à fumer fébrilement. Porta se pencha en avant, en s’accrochant à la barre du plafond.
– Pourquoi qu’ils veulent vous fusiller ?
La jeune fille laissa échapper la cigarette et se mit à sangloter.
– C’était pas pour t’ennuyer, dit gauchement Porta, mais on aime savoir c’qu’on fait. Faut le comprendre.
– Crétin ! cria Möller en lui donnant une bourrade, qu’est-ce que ça peut te faire 1 Tu le sauras à Senne ! – Il mit son bras autour des épaules de la téléphoniste : – Calme-toi, petite sœur. C’est idiot. Toujours à se mêler de ce qui ne le regarde pas.
La jeune fille pleurait Silencieusement. Le moteur ronflait en grimpant une côte raide. Paust, derrière la vitre de la cabine, nous observait, assis en fumant à l’intérieur du camion. Alte montra un tas de cailloux au bord de la route, où travaillaient quelques prisonniers de guerre et des territoriaux.
– Pas possible ! On répare… ! c’est pas trop tôt. Depuis le temps qu’on s’y secoue les tripes !
Bauer voulait savoir si Porta allait au Chat Noir dans la soirée.
– Pieschen et Barbara iront. On va rire.
– Moi aussi, dit Porta, mais jusqu’à dix heures seulement. Après j’vais à l’ouverture du nouveau bordel à la Münchener Gasse.
Une ambulance, sirène hurlante, dépassa le lent camion.
– Ça vous donne le cafard, ces sirènes, dit Bauer, en jetant un coup d’œil par la vitre.
– Un accouchement qui ne va pas, ou un accident, dit Möller.
– Ma femme a eu une hémorragie à son second. Ça été juste si on l’a sauvée. Ils sont bien les hôpitaux modernes avec ce
Weitere Kostenlose Bücher