Les panzers de la mort
clientèle bourgeoise lui faisait absolument réprouver les effusions de sang.
Le paysan était un homme pauvre et usé par le travail qui avait bu un doigt de vodka en trop. Sur le papier, Il devint un dangereux partisan, un adversaire déclaré du 3 e Reich.
On avait donc emmené Vladimir Ivanovitcil Vjatscheslav, et les gendarmes Rigolards nous firent de joyeux signes d’adieu en partant pour Jitomir. L’un d’eux donna même un coup de crosse sur la tête du paysan, car que peut-il bien y avoir de plus méprisable aux yeux d’un gendarme prussien qu’un paysan russe ? Et tout aurait été immédiatement oublié s’il n’y avait eu la fille au foulard vert.
Tout devient routine, n’est-ce pas ? Même pendre les gens comme partisans. Notez qu’après leur mort, ces nombreux pendus furent proclamés héros soviétiques, mais s’ils avaient survécu à la guerre, Ils auraient été envoyés au Soviet strafnjik, le camp de Ukhta-Petjora, pour n’avoir pas été pendus comme partisans et être restés de paisibles cultivateurs sous le règne des soldats de Hitler.
Donc, la fille au foulard vert vint à la cantine qu’on avait installée dans une grande hutte. Cette cantine était le fruit de l’imagination du cuistot, homme d’affaires expérimenté, qui appartenait à la race des « 60 % de bénéfice ». Elle jeta un coup d’œil circulaire avant de venir vers la table où tout notre groupe était réuni.
– Où est mon père ? dit-elle. On l’a amené ici Il y a trois jours. Anastasia et moi nous n’avons rien à manger.
– Qui est ton père, petite fée ? demanda Alte en souriant, pendant que Porta faisait claquer sa langue contre son palais.
La fille le regarda, sourit, et répondit par le même claquement de langue. Des Rires fusèrent vers les vieilles poutres noircies par la fumée.
– Mon père est cultivateur. C’est Vladimir Ivanovitch Vjatscheslav, de la hutte jaune près du fleuve.
Alte, gêné regarda la pièce où le silence s’était fait. Porta se mit à frotter la boucle de son ceinturon, pendant que Petit-Frère se curait les dents avec son couteau à cran d’arrêt. Le légionnaire se leva et, dans son trouble, se marcha lui-même sur les pieds.
– Ah oui, ton père c’est Vladimir Ivanovitch… ah oui, petite… Il est venu ici, mais Il est reparti.
– Reparti ? comment ? Père ne peut pas partir, nous n’avons Rien à manger, Anastasia pleure et maintenant les N. K. V. D. allemands veulent que j’aille travailler sur les routes. Il faut que père rentre, Anastasia est malade.
Alte se grattait la nuque et cherchait désespérément une aide quelconque, mais nous autres, Silencieux, nous nous tassions sur les bancs rugueux. Qu’aurions-nous dit ? Les conseils de guerre à Jitomir étaient durs et Ils avaient une prédilection pour les gens qui se balançaient au bout d’une corde.
– Petite, un gendarme est venu chercher ton père pour quelque chose d’ennuyeux. Un secrétaire en a écrit un peu trop long sur lui.
– Où l’ont-Ils emmené ?
Alte haussa les épaules et se passa la main sur les cheveux tandis que Porta se grattait les oreilles.
– Je ne sais pas trop. Ils ont pris vers l’ouest dans la direction de la grand-route.
La jeune fille au foulard vert qui pouvait bien avoir 14 ans tourna un regard affolé vers le plafond, puis abaissa les yeux sur nos visages sales, hirsutes, aux bouches mouillées de vodka, aux poils salis de machorka – sur ces soldats étrangers en uniformes gris qui arrêtaient et pendaient les pauvres paysans, ou bien les envoyaient au loin, vers cet ouest dont aucun n’était jamais revenu. On disait que c’était encore pire d’être envoyé à l’ouest qu’à l’est, là où cependant Il n’y avait plus de soleil sur la neige et où l’été les moustiques vous dévoraient.
– Tu es toute seule, là-bas près du fleuve ? demanda Stege.
– Non, Il y a Anastasia, mais elle est malade.
– Qui est Anastasia ?
– Ma petite sœur ; elle n’a que trois ans.
Les soldats toussèrent et se mouchèrent. Petit-Frère Cracha par terre : – Maudit soit le monde et surtout les gendarmes !
– Qui fait à manger ? demanda Alte.
La petite le regarda : – Moi ! qui le ferait sans ça ?
– Mais où est ta mère ?
– Les N. K. V. D. russes l’ont emmenée quand ils sont venus chercher grand-père, mais Il y a longtemps de ça, bien avant qu’on ne commence à
Weitere Kostenlose Bücher