Les pièges du désir
qu’elle exigeait en général peu de choses, surtout de lui. Il acquiesça d’un lent hochement de tête.
– Je le ferai pour vous, mère.
Il releva le menton.
– Mais seulement pour vous !
Dieu savait qu’il lui en coûterait de peindre la dernière conquête de Tranville. Oui, il fallait vraiment que ce soit pour sa mère !
Chapitre 3
Ariana descendit l’escalier de la pension de famille d’Henrietta Street, où elle vivait comme beaucoup d’autres acteurs. Les pièces y étaient confortablement meublées et la compagnie excellente. La propriétaire de l’établissement était une personne accommodante, tantôt à cheval sur les convenances, tantôt prête à les ignorer, en fonction des désirs de ses locataires.
Aujourd’hui, Ariana préférait les respecter. Betsy, la servante, venait de lui annoncer que lord Tranville souhaitait la voir. S’il ne l’avait pas choisie pour jouer le rôle principal dans la pièce qu’il finançait, Antoine et Cléopâtre , elle aurait refusé de le recevoir. Elle le fit attendre dans le salon, afin de le décourager s’il s’était fait des idées sur elle. De toute évidence, c’était Daphné qui lui avait donné son adresse. L’actrice avait toujours accordé une importance démesurée au parrainage…
Ariana fronça le nez. Qu’est-ce que sa mère était allée manigancer, au nom du ciel ? L’homme était assez vieux pour être son père !
Elle pénétra en coup de vent dans le salon.
– Lord Tranville, quelle surprise !
Elle lui tendit la main pour un shake hand des plus formels. Mais il la porta à ses lèvres et y déposa un baiser humide.
– Ma chère miss Blane…
Elle esquissa une grimace et se dégagea aussi vite qu’elle put. Si elle avait espéré qu’il s’intéressait à elle pour son talent d’actrice, elle ne pouvait plus se faire la moindre illusion. Un soupir lui échappa. Il allait lui falloir une certaine dose de diplomatie pour rester dans les bonnes grâces du monsieur tout en repoussant ses avances. Mais après tout, elle avait déjà réussi cet exploit avec d’autres. Pourquoi pas lui ?
Elle évita de rencontrer ses yeux.
– Je suis étonnée de vous voir ici, monsieur. Est-ce pour une affaire concernant le théâtre ?
Il découvrit ses dents dans un large sourire. De belles dents, il fallait lui reconnaître cela.
– Je pensais que le désir de repaître mes yeux de votre grâce serait une raison suffisante.
Elle parvint à rester impassible et le dévisagea comme si elle attendait qu’il cesse de proférer des sottises. Tranville se mit à jouer avec sa chaîne de montre.
– Ma visite est en effet en rapport avec le théâtre. D’une certaine façon…
– Oh, vraiment ?
Elle se résigna à l’inviter à s’asseoir. Il choisit un sofa et elle s’installa sur une chaise, brossant ostensiblement sa manche pour en ôter une poussière invisible. Puis elle leva enfin les yeux vers lui.
– Et qu’en est-il au juste, je vous prie ?
Il se pencha vers elle.
– J’ai eu l’idée de faire un peu de publicité autour de votre rôle dans Antoine et Cléopâtre .
Elle haussa les sourcils.
– Comment cela ?
– Si cela vous agrée, un artiste fera votre portrait en Cléopâtre . Nous pourrons ensuite tirer des gravures qui seront diffusées dans les magazines. Cette réclame assurera votre succès, j’en suis certain.
Elle lui jeta un regard méfiant.
– Et qui paiera pour cela ?
Pas le théâtre, en tout cas. M. Sheridan avait laissé Drury Lane très endetté. Les prestations de Kean, acteur très populaire, avaient été d’une aide précieuse ; mais de là à dépenser de l’argent pour une nouvelle actrice dont la réputation n’était pas encore établie… Son rôle dans Juliette et Roméo avait à peine été mentionné par les journaux, qui ne s’étaient pas faits faute de critiquer le Roméo un peu trop mûr de Kean.
– C’est moi qui paierai, dit Tranville. Et si le portrait vous plaît, je vous l’offrirai.
Ariana réfléchit. Elle ne voulait pas de cadeau de lui, certes. Mais d’un autre côté, elle ne pouvait rien négliger pour assurer le succès de la pièce. Elle en avait tant besoin !
Il inclina la tête d’un air qu’il supposait sans doute charmeur.
– Si cela vous convient, l’artiste peut vous rencontrer cet après-midi même pour discuter des détails. Je
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