Les pièges du désir
avaient besoin de chaperons !
– Pourquoi voulez-vous qu’elle vienne ?
– Tranville n’étant pas là, vous préférerez peut-être qu’une autre femme soit présente.
– Tranville ?
Elle en fut irritée un instant. Pourquoi diable ramenait-il sans cesse Tranville sur le tapis ? Le général n’était pas son père !
Soudain, elle comprit. Jack Vernon pensait que Tranville était son amant. Sans doute serait-il surpris d’apprendre qu’elle n’avait eu en tout et pour tout qu’une brève histoire d’amour dans sa vie, il y avait déjà bien longtemps. Elle avait été déçue, et s’était juré de ne plus jamais renouveler l’expérience. En fait, elle n’avait même pas été tentée de le faire – jusqu’à ce qu’elle le rencontre. Lui, le mystérieux étranger à l’exposition d’été.
Malgré l’attitude distante qu’il affichait, il l’attirait encore, avec son regard assombri par les blessures du passé…
Elle fit un effort pour revenir à la conversation.
– Je n’ai pas besoin de chaperon, monsieur Vernon. Personne n’exige d’une actrice qu’elle se conforme aux convenances. C’est l’une des libertés que confère cette profession.
Il se contenta de siroter son thé. Ariana reprit sa respiration et fit une seconde tentative :
– Et si nous parlions du portrait ?
– Oui, nous avons des décisions à prendre. Comment souhaitez-vous que je représente Cléopâtre ?
Il s’exprimait comme si toute émotion l’avait déserté. Mais ses yeux le trahissaient. Elle lisait un émoi certain dans leurs profondeurs mordorées.
– Je crains de ne pas être fixée, murmura-t–elle.
– Nous pourrions essayer différentes poses. J’en ferai des croquis, et nous choisirons la meilleure.
La proposition la laissa sceptique.
– Avez-vous lu la pièce, monsieur Vernon ? Elle pourrait vous fournir quelques idées.
– Pas depuis mes années de collège.
– J’en ai un exemplaire chez moi. Allons le chercher, si vous voulez bien.
Il cilla.
– C’est inutile, vous l’apporterez demain.
– Et nous perdrons un jour de plus ! Mon appartement est tout près, cela ne nous prendra que quelques minutes.
Il la regarda pendant un temps qui parut infini à Ariana.
– Très bien, céda-t–il enfin.
Il alla chercher sa cape dans une pièce voisine, et une minute plus tard, ils se retrouvaient tous deux dans l’air froid et venté du dehors. Ariana lui prit le bras et balaya la rue du regard.
– Où habite votre sœur ?
– Ici, la renseigna-t–il, lorsqu’ils passèrent devant la porte.
– Et… y a-t–il aussi une Mme Jack Vernon ?
Oh, Seigneur, faites qu’il réponde non !
Il secoua la tête, à son grand soulagement.
– Je ne suis pas en position de me marier. La seule Mme Vernon, pour l’instant, c’est ma mère. Ma sœur Nancy vit dans cet appartement avec elle. Vous l’avez déjà vue, du reste.
Elle le regarda, surprise.
– Votre sœur ?
– Le portrait que vous avez admiré à l’exposition était le sien.
Elle se figea.
– Oh ! Je comprends, maintenant.
– Qu’est-ce que vous comprenez ?
Elle le regarda droit dans les yeux.
– Pourquoi ce portrait révélait tant d’amour…
Il rougit légèrement et elle le sentit s’éloigner d’elle derechef. Dommage… L’espace d’un instant, ils avaient presque retrouvé leur première complicité.
Mais tout n’était peut-être pas perdu. D’un ton enjoué, elle l’assaillit de questions sur Nancy. Son âge, ses centres d’intérêt, son éducation – bref, tout ce qui lui semblait ne pas devoir le heurter. Cette courte promenade jusqu’à Henrietta Street fut de loin la plus agréable qu’elle ait faite depuis longtemps.
Lorsqu’ils eurent pénétré dans la pension, Jack voulut se diriger vers la porte ouverte du salon, mais elle l’arrêta d’un geste.
– Montons plutôt dans ma chambre.
– Chez vous ?
Elle eut un geste désinvolte.
– Personne n’y fera attention, je vous promets. Ici, vous savez…
Et de lui expliquer comment elle en était venue à habiter cet endroit et qui étaient les autres locataires. N’importe quoi pour le mettre à l’aise et dissiper son propre embarras…
Dans la chambre, Ariana ignora délibérément le lit, dont la présence éveillait en elle des pensées importunes. La promptitude
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