Les pièges du désir
entrée.
– Ah, mon fils ! Je me réjouis que tu aies pu venir tout de suite.
Jack traversa la pièce pour venir embrasser sa mère. Mary lui jeta un regard décidé et leur fit signe à tous deux de s’asseoir avant de s’installer dans un fauteuil en face d’eux. Ses mains lissaient nerveusement l’étoffe de sa jupe.
– Nancy a dû te dire que Lionel… lord Tranville m’avait rendu visite.
– Je sais, il sortait de mon atelier, répondit Jack, qui s’efforçait de garder un ton neutre.
– Nous avons passé un délicieux moment ensemble.
– Vraiment ?
Mme Vernon respira à fond.
– Oui… Lionel m’a dit qu’il t’avait proposé un travail.
– C’est exact.
Nancy s’agita sur sa chaise.
– Jack, tu ne me l’avais pas dit ! C’est magnifique.
– J’ai refusé, Nancy.
– Là est le problème, repartit Mme Vernon. Je voudrais que tu acceptes, Jack.
– Il n’en est pas question.
– Oh, Jack ! s’écria Nancy, visiblement déçue.
– Il voulait que je peigne une femme, mère. Comprenez-vous ce que cela signifie ?
Mary Vernon jeta un bref coup d’œil à sa fille, puis secoua imperceptiblement la tête à l’intention de Jack, qui comprit la mimique. Très bien, il n’insisterait pas.
– Lionel finance une production de Shakespeare, Antoine et Cléopâtre . Il a besoin de ce portrait pour la publicité de la pièce. C’est exactement ce que tu recherches, si j’en crois ce que tu nous as dit hier soir.
– Je n’ai jamais dit que je travaillerais pour Tranville.
– Mais, Jack…, intervint Nancy.
– Ne sois pas stupide, mon fils, continua sa mère. Il a l’intention de te proposer un bon prix, plus que tout ce que l’on t’a donné pour tes autres tableaux.
Elle nomma la somme, qui était exorbitante. Jack serra les dents.
– Je ne veux pas de sa charité !
– Voilà une animosité qui n’est pas à ton honneur…
Jack haussa les épaules. Il avait déjà tenté de lui expliquer – la dureté de Tranville envers ses hommes pendant la guerre, ses flatteries à l’égard de ses supérieurs, sa façon de fermer les yeux sur la couardise de son fils et d’envoyer d’autres hommes se faire tuer à sa place…
– Vous savez parfaitement quel genre d’homme il est, mère.
Mary Vernon leva les deux mains pour mettre fin à la discussion.
– Assez ! J’ai accepté la commande en ton nom.
Jack se leva d’un bond.
– Comment avez-vous pu ?
Elle lui jeta un regard comminatoire.
– Tu feras ce portrait pour moi , Jack, parce que je le désire. Je ne t’ai jamais demandé grand-chose, n’est-ce pas ? Mais cette fois, je t’en prie…
Jack resta debout à la dévisager. Elle avait vieilli pendant toutes ces années qu’il avait passées à la guerre. Ses cheveux bruns étaient striés de fils gris et de fines rides s’étaient formées autour de ses yeux et de sa bouche. Pourtant, il la trouvait toujours aussi belle qu’à l’époque où elle était jeune, insouciante, et où il n’était lui-même qu’un enfant. Il aurait voulu pouvoir peindre le souvenir qu’il avait d’elle.
– Et j’insiste pour que tu ne te fâches pas avec lui. Traite-le avec politesse, c’est vital pour moi.
Elle leva vers lui des yeux suppliants.
– Il est important pour moi que tu obtiennes ce travail et l’argent de cette commande. Important aussi que Lionel ait ce qu’il désire. Il veut faire de cette pièce un succès, et je lui souhaite de tout mon cœur de réussir.
Jack se renfrogna. Tout ce que Tranville cherchait, c’était à mettre cette actrice dans son lit, si ce n’était déjà fait. De qui pouvait-il bien s’agir ? Une comédienne en vue, comme Daphné Blane ? Tranville était très capable de financer une pièce pour obtenir ses faveurs. Après tout, il avait bien acheté leur mère autrefois… Et à présent, elle voulait que son fils fasse le portrait de cette femme ? C’était absurde !
– Vous a-t–il menacée de vous couper les vivres ou quelque autre chantage ?
Elle parut surprise.
– Menacée ? Tu n’es pas sérieux. Lionel a toujours payé mes trimestres. Je te demande cela par gratitude pour ce qu’il a fait pour nous.
Jack baissa les yeux sur la trame quelque peu usée du tapis.
– Je t’en prie, mon fils… Fais cela pour moi !
Il aurait voulu refuser, mais il était exact
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