Les pièges du désir
quelqu’un qui avait connu son père l’aurait enchanté. Mais la vue d’Edwin, avec son visage à présent balafré, réveillait en lui le souvenir de la terrible nuit de Badajoz. Il vit le jeune homme titubant jeter un regard concupiscent à une danseuse de ballet qui passait.
– Oh, je comprends maintenant ! s’exclama son interlocuteur après un moment de silence. C’est Tranville qui vous paie pour peindre cette actrice, n’est-ce pas ?
– Exact, répondit laconiquement Jack, qui surveillait Edwin du coin de l’œil.
Le jeune homme venait de jeter son dévolu sur Susan, la plus jeune colocataire d’Ariana à la pension.
Jack s’inclina devant l’ancien Horse Guard.
– Je dois vous quitter, monsieur, excusez-moi.
L’autre lui assena une tape amicale sur l’épaule en guise d’adieu. Jack marcha sur le coin de la pièce où Edwin s’entretenait avec Susan, tout en jouant avec le ruban qui ornait la manche de la jeune fille. Il frotta le morceau d’étoffe contre la cicatrice de sa joue.
– Vous voyez cette balafre, ma belle ? Je l’ai reçue pendant le siège de Badajoz.
Ce fut l’instant que choisit Jack pour interrompre l’aparté.
– Il faut que je vous parle, Susan.
La jeune fille coula un regard à Edwin, dont les yeux s’étaient écarquillés à la vue de Jack.
– Dans un instant ! minauda-t–elle. Je suis en conversation avec ce monsieur.
– Non, tout de suite.
Edwin avait mis ces quelques secondes à profit pour se composer une attitude. Il prit un ton dégagé.
– Du diable si je m’attendais à vous voir ici, Jack Vernon ! J’espérais qu’ils vous avaient envoyé aux Indes Orientales ou Dieu sait où.
Un poste où les soldats succombaient aux fièvres… Jack serra les dents.
– Ce n’est pas votre jour de chance, hein ? ironisa-t–il.
– C’est incroyable que vous soyez tombé précisément sur moi ! Même mon père ne sait pas encore que je suis à Londres. Je viens de Paris, voyez-vous, précisa-t–il d’une voix pâteuse.
– Paris ! s’écria Susan, dont les yeux s’illuminèrent.
Jack se tourna vers elle.
– Venez un instant, Susan, je vous en prie !
Les cils papillotants, elle les regarda tour à tour sans esquisser un geste. Edwin lui dédia un sourire qui découvrit ses dents blanches, puis se tourna vers Jack.
– Voyons, Vernon, passez votre chemin ! La jeune dame et moi sommes engagés dans une conversation fort plaisante. J’ai beaucoup de choses à lui raconter sur Paris.
Aviné, Edwin était trop dangereux pour qu’on se fie à lui. Jack se permit donc d’insister.
– Désolé, je dois vous interrompre, fit-il en s’emparant du bras de Susan.
– Jack, lâchez-moi, voyons !
Intriguée par cette scène, Ariana surgit brusquement à leur côté.
– Eh bien, que se passe-t–il ? s’enquit-elle d’une voix tendue, mais enjouée.
Jack échangea avec elle un regard significatif.
– Il faut que je parle à Susan. Tout de suite.
Edwin lui lança un coup d’œil méfiant. Puis il haussa les épaules et son attention se détourna vers Ariana.
– Oh, d’ac… d’accord ! marmonna-t–il.
Laisser Ariana en compagnie de ce vaurien n’enchantait guère Jack. Mais il savait au moins qu’elle ne s’en irait pas avec lui. Susan, elle, semblait prête à le faire. Elle se laissa entraîner à contrecœur dans un coin de la salle.
– Tenez-vous à l’écart de cet homme, Susan ! Il n’est pas recommandable.
La comédienne se dégagea d’un haussement d’épaules.
– Vous plaisantez ? C’est le fils de Tranville ! Il doit être cousu d’or.
– Il n’en vaut pas la peine, croyez-moi.
Elle se campa devant lui, les mains sur les hanches.
– Et pourquoi devrais-je vous croire ?
Il se pencha vers elle d’un air qui ne souffrait pas de discussion.
– Parce que je sais qu’il se montre cruel envers les femmes.
Elle laissa retomber ses mains contre ses flancs.
– Cruel ? Comment cela ?
– Violent.
Jack ne pouvait lui en dire davantage sans trahir son serment de Badajoz.
– Faites-moi confiance, bon sang ! Je sais ce que je dis.
Elle se mordilla la lèvre, encore indécise.
– D’accord…, acquiesça-t–elle enfin. Si vous me présentez à quelqu’un d’autre ! En ce cas, je laisserai tomber celui-ci.
Jack n’hésita pas. Il conduisit Susan vers
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