Les pièges du désir
désir.
Elle le dévisagea longuement. Etait-elle consciente de la bataille qui se livrait en lui ?
– Je désire beaucoup de choses, Jack…
Elle eut un sourire en le voyant plisser le front.
– Et pour commencer, du madère !
Ce qu’il désirait, lui, c’était elle. Oh, oui, il la voulait de tout son être, même s’il savait que rien de bon ne pouvait en sortir, étant donné l’implication de Tranville dans cette histoire. Mais elle était si fraîche, si vibrante et débordante de vie ! Et il en avait tellement assez de la guerre et de la mort…
Il prit une profonde inspiration.
– Allons-y !
Ils descendirent l’escalier bras dessus, bras dessous. La première personne qu’aperçut Jack dans le salon fut l’acteur dont il avait fait la connaissance à la taverne. L’homme se précipita vers lui pour lui tendre la main.
– Jack ! Que diable faites-vous ici ?
Et se tournant vers l’un des comédiens qui s’étaient joints à eux le soir de Roméo et Juliette :
– Regarde, Franklin, c’est Jack !
– Magnifique ! Comment allez-vous ? Henry me parlait justement de vous hier soir.
Leur accueil fut aussi chaleureux que s’ils se connaissaient depuis toujours. Jack fut présenté aussi à deux actrices – Susan, qui avait à peu près l’âge d’Ariana, et Eve, un peu plus âgée.
Ariana interrompit leur échange.
– Dites-moi, Henry et Jack, où avez-vous noué connaissance ?
– Jack et moi sommes des compagnons de beuverie, plaisanta Henry. Ou du moins, nous l’avons été l’autre soir.
Il se tourna vers Jack.
– Dites, mon vieux, vous ne nous aviez pas dit que vous étiez intime avec Ariana ! Vous êtes le premier homme qu’elle invite dans sa chambre, veinard ! Du moins pour ce que j’en sais…
Jack haussa les sourcils. Le premier, vraiment ?
Ariana, gênée, se hâta de changer de sujet.
– Jack ne vous a pas dit qu’il faisait mon portrait ? C’est lui qui est en train de me représenter en Cléopâtre.
Henry frappa sur l’épaule du peintre.
– Espèce de cachottier ! Vous ne nous en avez pas dit un mot, pas même quand vous êtes venu au théâtre.
Ariana cilla.
– Vous étiez au théâtre ? Je ne savais pas.
Mais, déjà, Henry conduisait le visiteur vers la desserte.
– Venez ! Je vais vous servir un verre de ce délectable madère.
Le vin et la conversation coulèrent librement, jusqu’au moment où le dîner fut annoncé. La compagnie reflua vers la salle à manger, où l’on se restaura en évoquant les menus commérages du théâtre.
Henry se tourna vers Ariana.
– Dis-moi, comment as-tu fait pour obtenir de Tranville le rôle de Cléopâtre sans coucher avec lui ? Cela m’intrigue !
Ariana le regarda en battant des cils.
– Qui sait ? Peut-être a-t–il été conquis par mes mérites d’actrice ?
Henry s’esclaffa.
– Ta mère a juré comme un charretier quand elle a découvert que le rôle lui était passé sous le nez.
– Oui. Ma mère a un côté jaloux…
Henry roula les yeux d’un air tragique.
– On peut le dire ! Ce qui n’empêche pas qu’elle soit une bonne actrice. Aussi douée que Sarah Siddons…
Il remplit derechef le verre de Jack.
– Tranville a banqué aussi pour avoir Kean.
Il fit un clin d’œil à Jack.
– Mais en louant les services d’un peintre, il a payé pour introduire le loup dans la bergerie !
– Tranville est un vieux libidineux, déclara Ariana. Comme la plupart des gentlemen qui fréquentent la Green Room.
Les deux autres actrices approuvèrent bruyamment. Jack se contenta d’écouter, conquis par le franc-parler des gens de théâtre. Quel contraste avec les non-dits qui régnaient dans sa propre famille !
– Il n’empêche que Tranville est plein aux as, observa la plus âgée des actrices. Le poisson vaut la peine d’être ferré !
Ariana secoua la tête.
– Très peu pour moi. C’est plutôt le genre de ma mère.
Et se tournant vers Jack :
– Saviez-vous qu’il finançait la nouvelle pièce ?
Jack hésita.
– Oui, dit-il enfin. Il prétend que c’est au bénéfice du théâtre. Mais je crains que ce ne soit pas le théâtre qu’il ait en vue.
Ariana s’assombrit.
– Au moins, j’aurai eu mon portrait !
Elle retrouva vite sa bonne humeur et donna la réplique à ses camarades, qui la
Weitere Kostenlose Bücher