Les pièges du désir

regard dédaigneux. 
    – Bien sûr que non. L’idée était de moi et de moi seule. 
    – Oh, il est assez malin pour vous l’avoir fait croire ! Il veut me ridiculiser, voilà la vérité. 
    – Comment mon portrait pourrait-il vous rendre ridicule, au nom du ciel ? 
    – Parce que ce n’est un secret pour personne que je veux vous épouser ! Et il est hors de question que ma femme pose nue. 
    Ariana leva le menton. 
    – Je ne vous ai pas accordé ma main, lord Tranville. 
    Il la foudroya du regard. 
    – Mais vous allez le faire. Si vous refusez, aucun théâtre à Londres ne voudra plus de vous, faites-moi confiance. 
    Elle se campa devant lui, les mains sur les hanches. 
    – Vous ne parviendrez pas à me faire peur, monsieur. Il existe d’autres théâtres. Et si j’ai du succès ailleurs, vous ne pourrez pas m’empêcher de revenir jouer à Londres. 
    – Ah bon ? fit-il d’un ton suave. Eh bien, si vous me repoussez, je ruinerai la carrière de Jack. Je m’arrangerai pour qu’il n’ait plus jamais de commandes. Je le ferai, n’en doutez pas ! 
    Elle ne cilla pas, malgré la révolte qui grondait en elle. 
    – Et j’empêcherai le mariage de sa sœur avec Ullman. C’est moi qui ai arrangé leurs fiançailles, je peux les défaire quand je veux… 
    Cela, au moins, n’était pas une menace ! 
    – La mère de Jack dépend de ma générosité depuis la mort de son mari, poursuivit-il, un rictus mauvais sur les lèvres. Je lui retirerai mon soutien financier. Jack sera obligé de retourner dans l’armée, et j‘intriguerai pour qu’il soit envoyé aux Indes Orientales, où il aura toutes les chances de succomber aux fièvres. Sa mère et sa sœur finiront à l’hospice, avec les pauvres. 
    Ariana sentit son cœur se serrer à ces mots. Mais elle n’en montra rien et eut un geste de défi. 
    – Je ne vois pas en quoi cela me concerne. 
    Il se pencha vers elle. 
    – Ce ne sont pas des menaces en l’air, mettez-vous bien cela dans la tête ! Si vous refusez de détruire ce portrait et de m’épouser, vous ferez leur malheur, en plus du vôtre. 
    – Vous infligeriez de terribles souffrances à ces pauvres gens pour la seule raison que je vous ai repoussé ? Il faut vraiment que vous m’aimiez avec ardeur, milord ! Je ne… 
    La porte s’ouvrit à cet instant et le locataire des lieux apparut sur le seuil, aussi surpris que furieux. Nancy se tenait derrière lui, les yeux ronds comme des soucoupes. 
    – Au nom du ciel, que faites-vous dans mon atelier ? 
    Décidément, les choses tournaient à la catastrophe ! Ariana s’efforça de prendre un ton guilleret. 
    – Hello, Jack ! Je suis en train de faire découvrir mon portrait à lord Tranville. 
    Il se débarrassa de son chapeau et de son manteau et marcha droit sur elle. 
    – Qui vous a autorisée à pénétrer ici en mon absence et à montrer mon travail ? 
    Elle agita la main d’un geste insouciant. 
    – Mais c’est mon portrait ! Et vous m’avez confié la clé de l’atelier. 
    Il darda sur elle un regard noir. 
    – Je vous l’ai donnée parce que c’était plus pratique pour moi, pas pour que vous en fassiez usage à votre convenance ! 
    – Vous méritez une bonne correction, Jack ! intervint Tranville. Comment avez-vous osé peindre un tel portrait d’Ariana ? Je n’en veux pas, le diable vous emporte ! 
    Jack alla se placer de l’autre côté du chevalet. 
    – Qu’est-ce qui ne va pas avec ce portrait ? se récria-t–il avec insolence. C’est le meilleur tableau que j’aie jamais peint. 
    Nancy pénétra à son tour dans la pièce. 
    – Voyons ? fit-elle avec curiosité. 
    Elle écarquilla les yeux devant la toile et Ariana songea à part elle que la situation ne pouvait empirer. Son plan se soldait par un complet désastre. Comment raccommoder les choses, à présent ? 
    Elle se dirigea vers la toile posée contre le mur et la retourna. 
    – Voici le portrait que voulait faire Jack. C’est moi qui ai insisté pour qu’il peigne l’autre. 
    La pose était identique, mais nul coin de peau rose ne transparaissait sous la robe. Toute la sensualité séductrice du regard avait disparu, au profit d’une expression neutre et insipide. 
    – C’est déjà plus convenable, marmonna Tranville, calmé. 
    Elle aurait voulu pouvoir protester. Ce portrait-là était dépourvu de vie, d’émotion… d’amour. 
    Mais Tranville avait