Les pièges du désir

vivres et en l’envoyant à l’hospice ? 
    Cette fois, le visage de Tranville perdit son expression affable. 
    – Cela dépend de vous, ma chère. Et de Jack. C’est à vous deux d’en décider. 
    – Et moi, je ne comprends pas pourquoi nous devons subir la compagnie des Vernon ! se plaignit Edwin, maussade. 
    Ariana se détourna de lui avec dégoût. 
    La porte de la loge s’ouvrit au même instant. Nancy fit son entrée, suivie d’une très belle femme qui devait être sa mère. 
    – Bon sang, les voilà déjà ! grommela Edwin entre ses dents. 
    Lord Ullman apparut sur les talons de ces dames. 
    – Quelle délicieuse soirée nous allons passer ! s’exclama-t–il. Il n’y a rien de tel qu’une sortie au théâtre. 
    Nancy conduisit sa mère vers Ariana, au moment où son frère pénétrait à son tour dans la loge. Le visage fermé, Jack resta le dos collé contre la porte. 
    – Maman, commença Nancy, puis-je vous présenter… 
    Tranville saisit le bras d’Ariana et l’attira vers lui d’un geste possessif. 
    – Ma chère Ariana, permettez-moi de vous présenter Mme Vernon, que vous n’avez jamais rencontrée, je crois. Mary, voici Ariana Blane, ma future épouse. 
    Ariana sentit ses joues rougir de colère. Elle se leva et plongea dans une courtoise révérence. 
    – Madame Vernon, c’est moi qui devrais avoir l’honneur de vous être présentée et non l’inverse. 
    Elle lança un regard flamboyant à Tranville. 
    – De plus, lord Tranville vous a induite en erreur. Je n’ai pas encore accepté sa demande en mariage, loin s’en faut. 
    – Bah, elle acceptera, Mary. Je n’en doute pas un instant, fit Tranville d’un ton suave. 
    La pauvre Mary Vernon semblait au comble de l’abattement, et Ariana s’aperçut trop tard qu’elle n’avait fait qu’aggraver l’outrage. Sans doute était-il encore plus humiliant pour elle d’être quittée pour une femme qui ne voulait même pas de Tranville que pour une fiancée tout acquise. Mais le général ne prêta pas la moindre attention à sa détresse. Il désigna la table disposée au fond de la loge. 
    – Jack, servez-nous donc du champagne. Nous avons bien des choses à célébrer ce soir ! 
    L’interpellé lui lança un regard noir. Ariana vit ses muscles se contracter sous son habit, comme si tout son corps protestait contre le seul fait d’obéir à une injonction de Tranville. 
    Mme Vernon voulut s’asseoir à l’arrière de la loge, mais Ariana l’arrêta d’un geste. 
    – Je vous en prie, madame, mettez-vous devant. Vous aurez une bien meilleure vue de la scène. Quant à moi, je ne connais que trop bien la pièce. 
    Et elle aurait été sur scène en cet instant, si Tranville ne lui avait fait retirer son rôle, trop mineur à son gré ! Mais elle voulait surtout épargner à la malheureuse le spectacle de Tranville faisant le joli cœur avec une autre femme. 
    Ullman installa Nancy sur une autre chaise, au premier rang. 
    – Là, vous serez entre votre mère et moi, ma chérie. Cela vous convient-il ? 
    – Merci, murmura-t–elle d’une voix atone. 
    Sans mot dire, Jack tendit les verres de champagne à la ronde. Tranville leva le sien. 
    – A nos fiancés ! Puissent-ils connaître toujours le bonheur conjugal. 
    Et se tournant vers Jack : 
    – Au superbe portrait d’Ariana… et au modèle, ajouta-t–il à l’adresse de la jeune femme. A l’avenir qu’elle va choisir d’embrasser, j’en suis certain. 
    Edwin eut un rire de crécelle. 
    – Nous avons tous besoin de boire après ce toast ! 
    Et d’avaler le contenu de son verre en deux lampées. Ariana, elle, se contenta d’une petite gorgée. Jamais boisson ne lui avait paru aussi amère, bien que ce fût un excellent champagne. 
    Elle coula un regard vers Jack, qui n’avait même pas fait mine de porter son verre à ses lèvres. 
    Ce fut un soulagement pour elle quand le rideau se leva enfin. Jack était assis derrière elle et elle percevait chacun de ses gestes, le moindre changement de rythme dans sa respiration. Il n’avait adressé la parole à personne dans cette loge, et pourtant il était le seul avec qui elle aurait eu envie de parler. Mais avec Tranville à côté d’elle, il n’y fallait pas songer. 
    Nancy se tenait très raide sur son siège, aussi immobile et inexpressive qu’une poupée de porcelaine. Quel contraste avec la jeune fille folâtre et pleine de vie qui