Les Piliers de la Terre
troisième fourbissait les harnais tandis que les
novices récuraient les stalles. D’autres moines balayaient l’hôtellerie, qui
jouxtait l’écurie, et une charrette de paille attendait dehors qu’on répandît
son contenu sur le sol bien propre.
Mais
personne ne travaillait à la tour écroulée. Tom examina le tas de pierres –
tout ce qui en restait. L’écroulement avait dû se produire quelques années plus
tôt, car les arêtes des pierres avaient été émoussées par le gel et la pluie,
le mortier emporté par les intempéries et la base de maçonnerie s’était
enfoncée d’un pouce ou deux dans la terre meuble. C’était étonnant qu’on eût
laissé la tour si longtemps sans réparation, car les cathédrales se devaient
d’être prestigieuses. L’ancien prieur était sans doute nonchalant ou
incompétent, ou bien les deux. Tom était arrivé, semblait-il, juste au moment
où les moines envisageaient de rebâtir. Après tout, il était temps que la
chance tournât pour lui.
« Personne
ne me reconnaît, dit Ellen.
— Quand
es-tu venue ici ? lui demanda Tom.
— Il
y a treize ans.
— Pas
étonnant qu’on t’ait oubliée. »
Comme ils
passaient devant la façade ouest de l’église, Tom ouvrit une des grandes portes
de bois pour regarder à l’intérieur. La nef était sombre et lugubre, avec ses
piliers épais et un antique plafond de bois. Plusieurs moines, toutefois,
blanchissaient les murs à la chaux avec des brosses à long manche et d’autres
balayaient le sol de terre battue. De toute évidence, le nouveau prieur
remettait tout en état – signe encourageant. Tom referma la porte.
Derrière
l’église, dans la cour de la cuisine, un groupe de novices, rassemblé autour
d’une auge d’eau sale, s’occupaient à gratter la suie et la graisse accumulées
sur les marmites et les ustensiles de cuisine en se servant de pierres
aiguisées. Ils avaient les mains toutes rouges à force de les plonger
constamment dans l’eau glacée. En apercevant Ellen, ils se mirent à pouffer de
rire puis détournèrent les yeux.
Tom
demanda à un novice intimidé où l’on pouvait trouver le cellérier. C’était en
fait le sacristain qui avait la responsabilité de l’entretien, mais les
cellériers étaient beaucoup plus faciles à aborder. De toute façon, en dernier
ressort, le prieur prendrait la décision. Le novice le dirigea vers le magasin,
situé dans un des bâtiments groupés autour de la tour. Tom poussa une porte,
Ellen et les enfants lui emboîtèrent le pas. Ils s’arrêtèrent sur le seuil,
scrutant la pénombre.
Le
bâtiment était plus récent et plus solidement construit que l’église, Tom s’en
aperçut sur-le-champ. L’air sec ne sentait pas la pourriture. A vrai dire, les
arômes mêlés des victuailles entassées là lui donnaient de pénibles crampes
d’estomac, car il n’avait rien mangé depuis longtemps. Comme ses yeux
s’habituaient à l’obscurité, il constata que le magasin avait un bon sol dallé
de pierres, des piliers courts et épais et un plafond en voûte. Puis il
remarqua un grand homme avec une frange de cheveux blancs, qui puisait du sel à
la louche dans un baril pour le verser dans un pot. « C’est vous le
cellérier ? » s’enquit Tom. L’homme leva la main pour réclamer le
silence et Tom s’aperçut qu’il était en train de compter. Ils attendirent sans
mot dire qu’il eût terminé. « Deux vingtaines et dix-neuf, trois
vingtaines. » Il posa la louche. Tom se présenta :
« Je
suis Tom, maître bâtisseur et j’aimerais rebâtir votre tour nord-ouest.
— Je
suis Cuthbert le Chenu, le cellérier. J’aimerais bien, en effet, qu’on fasse
les réparations, répondit l’homme. Mais il va falloir demander au prieur
Philip. Vous savez que nous avons un nouveau prieur, n’est-ce pas ?
— Oui. »
Cuthbert, constata Tom, était un moine du genre affable ; aimable et
d’humeur facile. Il ne demanderait qu’à bavarder. « Le nouveau venu semble
tenir à améliorer l’aspect du monastère. »
Cuthbert
acquiesça. « Seulement, il ne tient pas à payer trop. Avez-vous remarqué
que tout le travail est fait par les moines ? Il ne veut engager aucun
ouvrier : il dit que le prieuré a déjà trop de serviteurs. »
Encore une
mauvaise nouvelle. « Qu’en pensent les moines ? » demanda
habilement Tom.
Cuthbert
se mit à rire. « Vous êtes un homme de tact, Tom le bâtisseur. Alors, à
votre
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