Les Piliers de la Terre
mon
garçon. Je pourrais l’obtenir ou bien votre père, ou l’évêque Waleran, mais
personne n’a demandé au roi de vous le donner à vous. L’idée même est une
plaisanterie.
— J’en
hériterai.
— Nous
verrons bien. » Philip estimait inutile de se quereller avec William.
« Je ne vous veux aucun mal, dit-il d’un ton conciliant. Je veux
simplement bâtir une nouvelle cathédrale.
— Alors
prenez le comté de quelqu’un d’autre, répliqua William. Pourquoi les gens
s’attaquent-ils toujours à nous ? »
Il y avait
beaucoup d’amertume dans le ton du jeune homme, observa Philip.
« Ils
auraient dû comprendre la leçon après ce qui est arrivé à Bartholomew,
continua-t-il. Il a insulté notre famille, et regardez où il est maintenant.
— Je
croyais que c’était sa fille la responsable de l’insulte.
— La
garce est aussi fière et arrogante que son père. Mais elle souffrira aussi. Au
bout du compte, vous verrez, ils s’agenouilleront tous. »
Ce
n’étaient pas là les émotions habituelles d’un garçon de vingt ans, se dit
Philip. William faisait plutôt penser à une femme entre deux âges pleine
d’envie et de venin. Philip n’appréciait guère cette conversation. La plupart
des gens mettaient à leur haine des vêtements raisonnables, mais William était
trop naïf. « Allons, dit le prieur, réservons la vengeance jusqu’au jour
du jugement.
— Pourquoi
donc n’attendez-vous pas le jour du jugement pour bâtir votre église ?
— Ce
serait trop tard pour sauver les âmes des pécheurs des tourments de l’enfer.
— Ne
commencez pas avec vos jérémiades, s’écria William. Gardez-les pour vos
sermons. »
Philip,
d’abord tenté de lui répliquer vertement, se maîtrisa. Il y avait quelque chose
d’inquiétant chez ce garçon, un rage incontrôlable, une violence extrême.
Philip n’avait pas peur de lui. Il n’avait pas peur des hommes violents, peut-être
parce qu’enfant il avait connu le pire et quand même survécu. Mais il n’y avait
rien à gagner à attiser William par des réprimandes, aussi dit-il avec
douceur : « Le ciel et l’enfer, voilà ce dont je m’occupe. La vertu
et le péché, le pardon et le châtiment, le bien et le mal. J’ai bien peur de ne
pas pouvoir m’empêcher d’en parler.
— Alors,
parlez tout seul », dit William qui éperonna son cheval et fila en avant.
Lorsqu’il
se fut éloigné d’une vingtaine de toises, il ralentit l’allure. Philip supposa
que le jeune homme allait se calmer et revenir chevaucher à ses côtés, mais il
n’en fit rien et, pour le reste de la matinée, ils cheminèrent séparément.
Le prieur
s’inquiétait, quelque peu déprimé. Il avait perdu le contrôle de son destin. Il
avait laissé Waleran Bigod prendre les choses en main à Winchester, et voilà
maintenant qu’il laissait William Hamleigh l’emmener dans un voyage mystérieux.
Ils essaient tous de me manipuler, songea-t-il. Et je les laisse faire.
Pourquoi ? Il est temps de reprendre l’initiative. Mais il ne pouvait rien
tenter pour l’instant, sinon tourner bride et rentrer à Winchester, mais cela
lui parut futile, aussi continua-t-il à suivre William, en fixant d’un air
morne l’arrière-train de son cheval, tandis qu’ils trottaient sur la route.
Peu avant
midi, ils atteignirent la vallée où s’élevait le palais de l’évêque. Philip se
rappelait sa visite, au début de l’année, tout tremblant avec son redoutable
secret. Bien des choses avaient changé depuis.
A sa
surprise, William passa sans s’arrêter devant le palais et gravit la colline.
La route se rétrécissait pour devenir un sentier entre les champs. Alors qu’ils
approchaient du sommet de la colline. Philip constata que des travaux de
construction étaient entamés. Peu avant le sommet, ils furent arrêtés par un
remblai de terre amené récemment. Philip fut pris d’un terrible soupçon.
Ils
obliquèrent et suivirent le remblai jusqu’à une brèche par laquelle ils
s’engouffrèrent. Derrière le remblai se trouvait une douve asséchée, comblée en
cet endroit pour permettre aux gens de traverser.
« C’est
ce que vous vouliez me montrer ? » demanda Philip.
William se
contenta de hocher la tête.
Philip
était anéanti : Waleran construisait un château !
Il poussa
son cheval et franchit le fossé, suivi par William. Le fossé et le remblai
encerclaient le faîte de la colline. Sur le bord
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