Les Piliers de la Terre
intérieur du fossé, on avait
édifié un épais mur de pierre jusqu’à une hauteur de deux ou trois pieds. A en
juger par son épaisseur, il était prévu pour monter très haut.
Pourquoi
n’y avait-il aucun ouvrier sur le site, aucun outil en vue et pas de réserve de
pierres ? On avait fait beaucoup en peu de temps, puis le travail avait
brusquement cessé. De toute évidence, conclut Philip, Waleran s’était trouvé à
court d’argent.
Philip dit
à William : « C’est bien l’évêque qui fait construire ce
château ?
— Waleran
Bigod permettrait-il qu’on bâtisse un château près de son palais ? »
Philip,
blessé et humilié, cédait devant les faits : l’évêque Waleran avait besoin
du comté de Shiring, avec sa carrière et sa forêt, pour construire son château
et pas la cathédrale. Philip n’était qu’un instrument, l’incendie de la
cathédrale de Kings-bridge un prétexte commode. Leur rôle était de stimuler la
piété du roi pour qu’il accorde le comté à Waleran.
Soudain
Philip se vit comme il devait apparaître à Waleran et Henry : naïf,
accommodant, souriant et acquiesçant à tout alors qu’on le menait à l’abattoir.
Quels bons juges ! Il leur avait fait confiance et s’en était remis à
eux ; il avait même supporté leurs insultes avec courage en souriant,
parce qu’il croyait en leur aide, alors qu’ils ne cessaient de le duper.
L’absence
de scrupules chez l’évêque le choquait profondément. Il se rappelait la
tristesse de ses yeux devant la cathédrale en ruine. Philip cru deviner en lui
une piété profonde. L’évêque pensait-il ainsi qu’au service de l’Église, de
pieuses fins justifiaient les moyens malhonnêtes ? Philip n’admettait pas
cette attitude. Je ne ferai jamais à Waleran ce que Waleran essaie de me faire,
pensa-t-il.
Jusqu’alors,
jamais il n’avait pensé jouer les dupes. Ou il s’était trompé ? L’idée lui
vint qu’il s’était laissé impressionner : par l’évêque Henry et ses robes
de soie, par la magnificence de Winchester et de sa cathédrale, par les tas
d’argent à la monnaie et les tas de viande aux étals des bouchers, par l’idée
de rencontrer le roi. Il avait oublié que Dieu voyait à travers les robes de
soie jusqu’au cœur du pécheur, que la seule richesse digne d’être possédée,
c’était un trésor au ciel, que même le roi devait s’agenouiller à l’église.
Estimant tous les autres bien plus puissants et plus sophistiqués que lui, il
avait perdu de vue ses vraies valeurs, mis en sommeil ses facultés critiques et
placé toute sa confiance dans ses supérieurs. En guise de récompense, on
l’avait trahi.
Il jeta
encore un coup d’œil au chantier balayé par la pluie, puis tourna bride et
s’éloigna, bouleversé. William le suivit. « Qu’en dites-vous,
moine ? » ricana-t-il. Philip ne répondit pas.
Il se
rappelait avoir aidé Waleran à devenir évêque. Waleran avait proposé :
« Vous voulez que je vous fasse prieur de Kings-bridge, je veux que vous
me fassiez évêque. » Bien sûr, Waleran n’avait pas révélé que l’ancien
évêque était déjà mort, aussi la promesse était-elle facile à tenir. Et Philip
s’était senti obligé de donner sa parole afin d’assurer son élection comme
prieur. Mais ce n’étaient là que des prétextes. En vérité, il aurait dû laisser
aux mains de Dieu le choix du prieur et de l’évêque. Il n’avait pas pris cette
pieuse décision : pour châtiment, il devait lutter contre l’évêque
Waleran.
Quand il
pensait à la façon dont on l’avait traité, manipulé et trompé, la colère le
prenait. L’obéissance était une vertu monastique, mais en dehors des cloîtres,
elle avait ses inconvénients, songea-t-il avec amertume. Le monde du pouvoir et
des biens terrestres exigeait qu’un homme fût méfiant, exigeant et insistant.
« Ces
menteurs d’évêques se sont moqués de vous, n’est-ce pas ? » dit
William.
Philip
retint son cheval. Tremblant de rage, il braqua un doigt sur William.
« Taisez-vous, garçon. Vous parlez des saints prêtres de Dieu. Un mot de
plus et je vous ferai brûler, je vous le promets. »
William
blêmit instantanément.
Philip
talonna son cheval. Le ricanement de William lui rappelait que les Hamleigh
avaient un autre mobile pour l’emmener voir le château de Waleran. Ils
voulaient provoquer une querelle entre Philip et Waleran pour s’assurer que
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