Les Piliers de la Terre
trapu d’environ vingt-cinq ans, à l’air
belliqueux, stupide et entêté. Tom lui lança un regard de défi. « Qui
êtes-vous ?
— Je
suis bailli du comte de Shiring. Il m’a donné consigne de garder la carrière et
c’est ce que je vais faire.
— Comment
comptez-vous le faire ?
— Avec
cette épée, dit-il en touchant le pommeau de l’arme accrochée à sa ceinture.
— Comment
croyez-vous que réagira le roi quand on vous amènera devant lui pour avoir
désobéi à son ordre ?
— Je
prendrai mes risques.
— Voyons,
vous n’êtes que deux, dit Tom d’un ton raisonnable. Nous sommes sept hommes et
quatre garçons, munis de la permission du roi pour travailler ici. Si nous vous
tuons, on ne nous pendra pas. »
Les deux
hommes d’armes parurent reconsidérer la question mais, sans laisser à Tom le
temps de pousser son avantage, Otto intervint : « Une minute, dit-il
au bâtisseur. J’ai amené mes gars ici pour couper des pierres, pas pour se battre. »
Tom se
crispa. Si les carriers n’étaient pas d’accord pour résister, c’était sans
espoir. « Tu vas te laisser priver de travail par deux
brutes ? » demanda-t-il, provocant.
Otto prit
un air maussade. « Je ne vais pas me battre avec des hommes armés,
répondit-il. Je gagne bien ma vie depuis dix ans et je ne suis pas en peine
pour trouver du travail. D’ailleurs, je ne connais pas les droits ni les torts
de chacun là-dedans… Pour moi, c’est ta parole contre la leur. »
Tom
regarda le reste de son équipe. Les deux tailleurs de pierre avaient le même
air obstiné que leur chef. A coup sûr, ils le suivraient : c’était leur
père aussi bien que leur maître. Et Tom comprenait l’attitude d’Otto.
D’ailleurs, s’il avait été à sa place, il aurait probablement adopté la même
position.
Tom ne se
déclara pas vaincu. « Il n’y aura pas de bataille, dit-il. Ils savent que
le roi les pendra s’ils nous touchent. Allumons notre feu et installons-nous
pour la nuit. Demain matin nous nous mettrons au travail. »
Un des
fils d’Otto intervint : « Nous ne pourrons pas dormir avec ces brutes
à proximité. »
Les autres
l’approuvèrent.
« Nous
ferons le guet », proposa Tom en désespoir de cause.
Otto
secoua la tête. « Nous repartons ce soir. Maintenant. »
Tom
regarda les hommes tour à tour et comprit qu’il était battu. Le matin encore,
il vibrait d’un tel espoir qu’il avait du mal à croire à la réalité : ces
coquins anéantissaient ses plans. Exaspéré, il ne put résister à lancer un
dernier trait. « Tu t’opposes au roi, c’est dangereux, fit-il à
l’intention de Harold. Dis-le au comte de Shiring. Et dis-lui que je suis Tom
le bâtisseur, de Kings-bridge. Si jamais mes mains se posent autour de son gros
cou, il n’en réchappera pas. »
Johnny
Huit Pence confectionna pour le petit Jonathan une robe de moine en miniature
avec manches larges et capuchon. Dans cette tenue, le petit bonhomme fit fondre
le cœur de tous. Malheureusement, le capuchon ne cessait de tomber en avant,
bouchant sa vision et, quand il se traînait à quatre pattes, la robe le gênait
aux genoux.
Au milieu
de l’après-midi, après la sieste (celle de Jonathan en même temps que celle des
moines), le prieur Philip rencontra le bébé et Johnny Huit Pence dans la nef de
l’église détruite, devenue le terrain de jeu des novices. C’était l’heure de
leur récréation et Johnny les regardait courir, tandis que Jonathan examinait
le réseau de pieux et de cordes avec lequel Tom le bâtisseur avait tracé le
plan au sol du côté est de la future cathédrale. Le prieur avait beaucoup
d’affection pour Johnny, qui compensait son manque de cervelle par un
extraordinaire bon cœur ; il resta un moment auprès de lui, observant la
course des novices.
Jonathan,
branlant sur ses pieds, s’agrippait à un piquet que Tom avait planté là où se
trouverait le porche. En suivant à la corde attachée au piquet, aidé par ce
support instable, il fit deux pas maladroits. « Il va bientôt marcher, dit
Philip à Johnny.
— Il
essaie beaucoup, mon père, mais le plus souvent il tombe sur le
derrière. »
Philip
s’accroupit, tendit les mains vers Jonathan. « Allons, viens ! »
Le bébé
rit aux éclats, découvrant deux petites dents. Il fit un autre pas sans lâcher
la corde, puis il braqua un doigt vers Philip, comme s’il s’indiquait à
lui-même la direction et, dans
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