Les Piliers de la Terre
fouiller frénétiquement.
S’ils espéraient retrouver le meunier vivant, ils allaient être déçus. Son
corps ne devait pas être beau à voir. Tant mieux.
William
promena un regard circulaire sur l’assemblée et, de nouveau, remarqua la fille
et le bébé potelé, un peu en arrière de la foule. De nouveau, il eut
l’impression qu’elle essayait de ne pas se faire remarquer. Déjà tout à
l’heure, l’homme à la barbe noire – sans doute son père – s’était efforcé de la
cacher aux regards. Il faudrait résoudre ce mystère avant de quitter le
village. Comme il croisait le regard de la jeune fille, il fit un signe dans sa
direction. Machinalement, elle regarda derrière elle, espérant qu’il
s’adressait à quelqu’un d’autre. « Toi, dit William. Viens ici. »
L’homme à
la barbe noire poussa un grognement.
« Qui
est ton mari, ma fille ? demanda William.
— Elle
n’a p… », dit le père.
Mais il
avait parlé trop tard, car la fille eut le temps de répondre :
« Edmund.
— Tu
es donc mariée. Qui est ton père ?
— C’est
moi, dit l’homme à la barbe noire. Theobald. »
William
se tourna vers Arthur. « Theobald est-il un homme
libre ?
— C’est
un serf, seigneur.
— Quand
la fille d’un serf se marie, n’est-ce pas le privilège du seigneur à qui elle
appartient de la posséder le soir du mariage ? »
Arthur ne
put s’empêcher d’exprimer son désaccord : « Seigneur ! Cette
coutume primitive n’est plus appliquée par ici de mémoire d’homme !
— Exact,
dit William. A la place, le père paie un dédommagement. Combien Theobald a-t-il
payé ?
— Il
n’a pas encore payé, seigneur, mais…
— Pas
payé ! Et voilà la fille déjà avec un gros bébé !
— Seigneur,
intervint Theobald, elle attendait un enfant d’Edmund avant le mariage. De
plus, nous n’avions pas l’argent. Mais nous pouvons vous payer maintenant car
la moisson est rentrée. »
William
sourit à la fille. « Fais-moi voir ce bébé. »
Elle le
dévisageait avec crainte.
« Allons.
Donne-le-moi. »
Paralysée
de peur, elle n’arrivait pas à obéir. William s’approcha et lui prit doucement
l’enfant. La mère, les yeux fous de terreur, ne résista pas.
Le bébé se
mit à hurler. William le berça un moment, puis le saisit d’une main par les
chevilles et d’un geste rapide, le lança en l’air aussi haut qu’il put.
Le père se
précipita, bras tendus, pour le rattraper.
La fille
poussa un hurlement de folie et regarda son bébé s’envoler dans les airs.
William saisit sa robe à pleines mains et tira dessus, découvrant un corps rose
et ferme.
Le père
rattrapa le bébé qui n’avait pas de mal, la fille s’éloigna en courant, mais
William la rejoignit et la jeta à terre. Le père tendit le bébé à une femme et
se dirigea vers William.
« Comme
on ne m’a pas donné mon dû le soir des noces et que le dédommagement n’a pas
été versé, je vais prendre maintenant ce à quoi j’ai droit. »
L’homme se
jeta sur lui. William tira son épée, l’homme s’arrêta.
William
regarda la fille qui gisait sur le sol, s’efforçant de couvrir sa nudité de ses
mains. Sa peur l’excitait. « Quand j’en aurai fini, mes chevaliers
prendront ma suite », annonça-t-il avec un sourire satisfait.
II
En trois
ans, Kingsbridge était devenue méconnaissable. William n’y était pas venu
depuis le dimanche de Pentecôte où Philip et son armée de volontaires avaient
déjoué les plans de Waleran Bigod. On comptait alors quarante ou cinquante
maisons de bois groupées autour de la porte du prieuré ou bien étalées le long
du sentier boueux qui descendait de la colline au pont. Aujourd’hui, les
maisons étaient au moins trois fois plus nombreuses. Formant une frange brune
autour du mur de pierre grise du prieuré, elles emplissaient entièrement
l’espace entre le bâtiment et la rivière. Certaines paraissaient assez grandes.
Dans l’enceinte même du prieuré, s’élevaient de nouveaux bâtiments de pierre.
Quant aux murs de l’église, ils montaient rapidement. Deux nouveaux quais
longeaient la rivière. Kingsbridge était devenue une ville.
Ce que
William vit en entrant confirma un soupçon qui grandissait dans son esprit
depuis son retour de la guerre. Tout au long de ses tournées de villages, tandis
qu’il percevait les arriérés de loyers et terrorisait les serfs, il entendait
incessamment parler de
Weitere Kostenlose Bücher