Les Piliers de la Terre
l’absolution. »
III
Ils
partirent alors qu’il faisait encore nuit afin d’arriver à l’aube. Les torches
allumées rendaient les chevaux nerveux. En plus de Walter et de ses quatre
chevaliers, William avait emmené six hommes d’armes. Derrière eux marchaient
une douzaine de paysans qui creuseraient le fossé et dresseraient la clôture.
William
croyait fermement aux soigneux préparatifs militaires – c’était pourquoi ses
hommes et lui étaient si précieux au roi Stephen – mais, cette fois, il n’avait
pas préparé de plan de bataille. L’opération s’annonçait si facile qu’il
trouvait ridicule, même humiliant, de la considérer comme un vrai combat.
Quelle résistance opposerait une poignée de tailleurs de pierre et leurs
familles ? D’ailleurs, William ne se rappelait-il pas avoir entendu dire
que le chef carrier s’appelait Otto ? Oui, Otto le Noir avait refusé de se
battre le jour où Tom le bâtisseur avait emmené pour la première fois ses
hommes à la carrière.
Un
frisquet matin de décembre se leva. Des lambeaux de brume s’accrochaient aux
arbres comme de la lessive de pauvres. William détestait cette époque de
l’année. Il faisait froid au réveil, sombre en fin d’après-midi et l’humidité
imprégnait tout le château. On servait trop de viandes et de poissons salés. Sa
mère était de mauvaise humeur, les domestiques maussades. Ses chevaliers
devenaient querelleurs. Au fond, cette petite expédition leur ferait du bien. A
lui aussi : il avait déjà pris ses dispositions pour emprunter deux cents
livres aux Juifs de Londres, la carrière servant de garantie. A la fin de la
journée, son avenir serait assuré.
Lorsqu’ils
furent arrivés à une demi-lieue environ de la carrière, le convoi stoppa.
William choisit deux hommes qu’il envoya devant, à pied, en éclaireurs.
« S’il y a une sentinelle ou des chiens, recommanda-t-il, préparez-vous un
arc et une flèche sur la corde. »
Un peu
plus loin la route s’incurvait vers la gauche, puis s’arrêtait brusquement au
pied du flanc abrupt d’une colline mutilée : la carrière. Quand le groupe
arriva en vue du site, tout était calme. Au bord du chemin, les éclaireurs de
William maintenaient un garçon affolé – un apprenti qu’on avait posté là en
sentinelle – et à leurs pieds un chien saignait à mort, une flèche dans le cou.
Le petit
groupe s’arrêta sans prendre de précautions pour se dissimuler. William du regard
inspecta les lieux. Depuis la dernière fois qu’il l’avait vue, la colline avait
sensiblement rétréci. Des échafaudages s’élevaient contre la paroi jusqu’aux
zones inaccessibles et on devinait des échelles plongeant dans un puits profond
ouvert au pied de la falaise. Les blocs taillés ou encore bruts s’entassaient
au bord de la route, où deux solides chariots de bois, aux roues énormes,
attendaient de partir avec leur chargement. Les alentours disparaissaient sous
une couche de poussière grisâtre, même les buissons et les arbres. On avait
déblayé une grande surface de bois – mes bois, enragea William – où se
dressaient maintenant dix ou douze constructions – les unes flanquées d’un
petit jardin potager, les autres d’une porcherie. En somme, un petit village.
William
s’adressa à la sentinelle : « Combien y a-t-il d’hommes ici, mon
garçon ? »
Bien
qu’affolé, l’enfant avait l’air courageux. « Vous êtes lord William,
n’est-ce pas ?
— Réponds-moi,
garçon, ou je te fais sauter la tête avec cette épée. »
L’adolescent
pâlit, mais répondit d’un ton vibrant de défi : « Vous comptez voler
la carrière au prieur Philip ? » William sentit la rage monter en
lui. Comment, c’était tout l’effet qu’il faisait à un enfant décharné, au
menton encore lisse ? Pourquoi tout le monde se croit-il capable de me
défier ? pensa-t-il, furieux. « Cette carrière est à moi ! cria
William. Le prieur Philip n’est plus rien. Oublie-le et ne compte plus sur lui,
désormais. Alors, combien d’hommes ? »
Au lieu de
répondre, le garçon détourna la tête et se mit à hurler : « A
l’aide ! Attention ! Attaque ! Attaque ! »
William
porta la main à son épée. Un visage effrayé apparu dans l’entrebâillement d’une
porte le fit hésiter.
Abandonnant
l’apprenti, il arracha une torche à un de ses hommes et éperonna son cheval.
Au galop,
brandissant sa torche, il atteignit les
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