Les Piliers de la Terre
premières maisons, suivi de ses hommes
qui le talonnaient. La porte de la cabane la plus proche s’ouvrit et un homme
aux yeux rougis de sommeil, vêtu d’une camisole, apparut sur le seuil. William
lança le brandon enflammé par-dessus sa tête : il atterrit sur le sol,
derrière le villageois hébété, dans la paille qui s’enflamma aussitôt. Avec un
cri de triomphe, William continua sa chevauchée.
Derrière
lui, ses hommes chargeaient en poussant des hurlements. Les torches volaient
sur les toits de chaume. Les portes s’ouvraient et, terrifiés, des hommes, des
femmes et des enfants se jetaient dehors en criant. Ils tournaient en rond, les
yeux fous, au milieu du martèlement des sabots, tandis que l’incendie se
développait partout. William, à bout de souffle, s’arrêta un instant pour
observer la scène. Les animaux domestiques s’étaient échappés : un cochon
chargeait aveuglément pendant qu’une vache, plantée au milieu du désastre,
agitait d’un côté et de l’autre sa tête stupide. Les jeunes gens les plus
belliqueux, déroutés, affolés, ne réagissaient pas. L’aube était le meilleur
moment pour de telles attaques. Les gens ensommeillés, à moitié dévêtus,
perdaient toute contenance, tout pouvoir de réaction.
Un homme à
la peau sombre et aux cheveux noirs ébouriffés sortit à son tour d’une cabane,
ses bottes aux pieds, en lançant des ordres brefs. Ce devait être Otto le Noir.
William n’entendait pas ce qu’il disait, mais il devinait à ses gestes qu’il
indiquait aux femmes de regrouper les enfants et d’aller se cacher dans les
bois. Et les hommes ? Que préparaient-ils ? William le sut très
vite : deux jeunes gens se précipitaient vers une cabane bâtie à l’écart
des autres, s’y engouffrèrent et en sortirent chargés de lourdes massues de
tailleurs de pierre. Plusieurs autres les imitèrent. William en conclut qu’il
s’agissait d’une remise à outils où les villageois allaient se fournir d’armes
pour se battre.
Trois ans
plus tôt, Otto avait refusé de combattre pour Philip. Pourquoi aujourd’hui
changeait-il d’avis ? En tout cas, il se condamnait à mort : William
eut un sourire sinistre et dégaina son épée.
Six ou
huit hommes armés de massues et de haches à long manche lui faisaient face.
William éperonna son cheval et chargea le groupe rassemblé devant la porte de
la cabane à outils. Les hommes bondirent de côté pour l’éviter, mais en
abattant son épée, il réussit à entailler profondément l’épaule d’un
combattant. L’homme lâcha sa hache en hurlant.
William
s’éloigna au galop, puis tourna bride dans une volée de poussière. Le souffle
rauque, il exultait dans l’ardeur de la bataille, n’éprouvant aucune peur, rien
que de l’excitation. Il fit signe à ses hommes de le rejoindre, puis chargea de
nouveau les tailleurs de pierre. Les ouvriers ne pouvaient pas esquiver aussi
facilement six chevaliers qu’un seul. William frappa deux d’entre eux et
d’autres tombèrent sous les épées de ses hommes.
William
n’eut pas le temps de voir combien, ni s’ils étaient morts ou seulement
blessés.
Lorsqu’il
revint à la charge, il vit qu’Otto avait ordonné à ses ouvriers de se disperser
entre les maisons en feu. La tactique était habile : dispersés, ils
obligeraient les chevaliers à se séparer pour les poursuivre et les éviteraient
ainsi plus facilement, d’autant que les chevaux avaient peur des flammes.
Il fallait
s’occuper d’Otto. C’était lui le cœur de la lutte. Il encourageait les
tailleurs de pierre en même temps qu’il les organisait. Dès qu’il tomberait,
tous les autres renonceraient.
William
retint son cheval et chercha des yeux l’homme à la peau sombre. La plupart des
femmes et des enfants avaient disparu, à l’exception de deux gosses de cinq ans
plantés au milieu du champ de bataille et qui pleuraient en se tenant la main.
Des silhouettes à pied, poursuivies par des chevaux, couraient entre les
maisons en feu. Surpris et contrarié, William constata qu’un de ses hommes
gisait sur le sol, ensanglanté, blessé d’un coup de marteau. Dans son orgueil,
William n’avait pas imaginé qu’il puisse y avoir des victimes parmi les siens.
Une femme
éperdue apparut entre les brasiers en criant quelque chose que William
n’entendit pas. Quand elle aperçut les deux enfants, elle se précipita vers eux
et les prit chacun sous un bras. Dans sa fuite,
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