Les Piliers de la Terre
tremblant, sur les dalles froides de la petite
chapelle du palais de l’évêque. L’évêque Waleran l’écouta en silence énumérer
les meurtres, les violences et les viols dont il se déclarait coupable. Tout en
se confessant, William ne pouvait refréner son mépris pour le dédaigneux
évêque, avec ses mains blanches et soignées croisées sur son cœur, et ses
narines translucides qui frémissaient comme si une mauvaise odeur flottait dans
l’air poussiéreux. William était au supplice d’implorer l’absolution de
Waleran, mais ses péchés étaient si lourds qu’aucun prêtre ordinaire ne les
aurait absous. Agenouillé, vaincu par la peur, il écoutait Waleran lui ordonner
de brûler à perpétuité un cierge dans la chapelle d’Earlscastle, avant de
déclarer ses péchés pardonnés.
La peur se
dissipa lentement, comme un brouillard qui fond au soleil. Ils sortirent de la
chapelle dans l’atmosphère enfumée de la grande salle et s’assirent auprès du
feu. L’automne tournait à l’hiver et il faisait froid dans la grande maison de
pierre. Un aide cuisinier apporta du pain chaud aux épices, parfumé de miel et
de gingembre. William commença enfin à sentir un certain bien-être l’envahir.
L’éclaircie dura peu. Bientôt, il se souvint des autres problèmes. Richard, le
fils de Bartholomew, revendiquait le comté et William était trop pauvre pour
lever une armée capable d’impressionner le roi. Il avait ramassé beaucoup
d’argent au cours de sa tournée, mais pas assez pour ses besoins. Il soupira.
« Ce damné moine boit le sang du comté de Shiring », dit-il.
Waleran
prit un peu de pain dans sa longue main pâle aux doigts longs comme des serres.
« Je me demandais combien de temps il vous faudrait pour parvenir à cette
conclusion. »
Waleran
avait tout compris bien avant William. Il était tellement supérieur. William
aurait préféré ne pas lui parler. Mais il lui fallait l’opinion de l’évêque sur
un point de droit. « Le roi n’a jamais autorisé un marché à Kingsbridge,
n’est-ce pas ?
— A
ma connaissance, non.
— Alors,
Philip viole la loi. »
Waleran
haussa ses épaules osseuses drapées de noir. « En théorie, oui. »
Malgré le
flegme de Waleran, William poursuivit : « Il faut l’arrêter. »
L’évêque
eut un sourire délicat. « On ne peut pas le traiter comme on traite un
serf qui a marié sa Fille sans autorisation. »
William
s’empourpra. Waleran se servait de la confession qu’il venait de faire.
« Comment, alors ? » Waleran resta songeur. « Les marchés
sont la prérogative du roi. A une époque plus paisible, sans doute aurait-il
réglé ce problème lui-même. » William eut un rire méprisant. Malgré toute
son habileté, Waleran ne connaissait pas le roi aussi bien que lui-même.
« Serait-ce en temps de paix, le roi ne me remercierait pas de lui
dénoncer un marché qui fonctionne sans son accord.
— Eh
bien, son adjoint, pour régler les problèmes locaux, c’est le prévôt de
Shiring.
— Que
peut-il faire ?
— Assigner
le prieuré devant la cour du comté. »
William
secoua la tête. « C’est la dernière chose que je souhaite. Le tribunal
imposerait une amende, le prieuré la paierait et le marché continuerait. Autant
donner carrément une autorisation.
— Le
malheur, c’est qu’il n’y a pas vraiment de raisons de refuser à Kingsbridge
l’existence d’un marché.
— Mais
si ! s’écria William avec indignation. Un marché à Kingsbridge retire une
importante part de négoce au marché de Shiring.
— Shiring
est à une pleine journée de voyage de Kingsbridge.
— Les
gens ne reculeront pas devant une longue marche. »
Waleran
hocha la tête sans conviction. William comprit qu’il n’était pas d’accord.
L’évêque reprit : « Selon la tradition, un homme passe un tiers de sa
journée à se rendre au marché, un tiers au marché et le troisième à rentrer
chez lui. Un marché vaut donc pour les gens qui se trouvent à un tiers de
journée de voyage, autrement dit quelque deux lieues et demie. Si deux marchés
se trouvent à plus de cinq lieues l’un de l’autre, ils ne se font pas
concurrence. Shiring est à six lieues et demie de Kingsbridge. D’après l’usage.
Kingsbridge
a droit à son marché et le roi devrait l’accorder.
— Le
roi fait ce qu’il veut », balbutia William, agacé. Il ne connaissait pas
cet usage. La position du prieur
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