Les Piliers de la Terre
charretiers
pour transporter la marchandise à Shiring.
— L’an
prochain, dit Philip, vous en aurez davantage.
— Je
voudrais amener les acheteurs flamands ici. Ce serait bien plus facile pour
tous que d’apporter toute notre laine à Shiring.
— Vous
le pouvez », intervint Francis.
Aussi
étonné qu’Aliena, Philip réagit le premier : « Comment ? Que
veux-tu dire ?
— Organisez
votre propre foire aux toisons. »
Philip
comprit très vite. « Tu crois que nous en avons le droit ?
— Maud
vous a donné exactement les mêmes droits que Shiring. C’est moi-même qui ai
rédigé ta charte. Si Shiring peut avoir sa foire aux toisons, toi aussi.
— Oh !
s’écria Aliena, ce serait merveilleux. Plus de transport jusqu’à Shiring !
Nous traiterions les affaires ici et on expédierait la laine directement dans
les Flandres.
— Ce
n’est pas tout, ajouta Philip, tout excité. Une foire aux toisons rapporte
autant en une semaine qu’un marché du dimanche en un an. Nous ne commencerons
pas cette année, bien sûr, c’est trop tard pour lancer l’information. Mais nous
annoncerons la nouvelle à la foire de Shiring, nous donnerons la date de la
nôtre, nous préviendrons tous les acheteurs…
— Ça
va changer les choses à Shiring, remarque Aliena. Vous et moi sommes les plus
gros vendeurs de laine du comté. Si nous nous retirons tous les deux, la foire
de Shiring perdra la moitié de son importance.
— William
Hamleigh va mal réagir si ses revenus diminuent, dit Francis. Attendons-nous à
une grosse colère ! »
Philip ne
put maîtriser un frisson de répugnance.
« Et
alors ? répliqua Aliena. Si Maud nous a donné la permission, nous ne
risquons rien. William ne peut pas s’opposer à notre projet, n’est-ce
pas ?
— J’espère
que non, dit Philip avec ferveur. J’espère que non. »
VII
Le jour de
la Saint-Augustin, le travail cessait à midi. La plupart des bâtisseurs
accueillaient la cloche avec un soupir de soulagement. Ils travaillaient en
général du lever au coucher du soleil, six jours par semaine, aussi avaient-ils
bien besoin du repos qu’on leur accordait les jours fériés. Mais Jack était
trop absorbé dans son travail pour entendre le signal.
Il adorait
tirer de la pierre dure des formes douces et rondes. La pierre avait sa volonté
à elle et s’il essayait de la forcer, elle se défendait : le ciseau
glissait ou s’enfonçait trop profondément. Mais une fois qu’il avait appris à
connaître le bloc qu’il avait devant lui, il pouvait en faire ce qu’il voulait.
Plus la tâche était difficile, plus elle le fascinait. Il trouvait maintenant
que les sculptures décoratives réclamées par Tom étaient trop faciles. Les
zig-zags, les losanges, les festons, les spirales, les simples moulures
l’ennuyaient, et même les feuilles devenaient monotones. Il avait envie de
sculpter du feuillage qui eût l’air naturel, de copier les différentes formes
de feuilles : chêne, frêne et bouleau… Malheureusement Tom ne le lui
permettait pas. Mais, surtout, il rêvait de scènes représentant des
histoires : Adam et Eve, David et Goliath, le jour du Jugement, des
monstres, des démons, des êtres humains dans le plus simple appareil. Il
n’osait pas en demander la permission.
Tom vint
lui-même l’interrompre. « C’est férié, mon garçon, dit-il. D’ailleurs,
j’ai besoin de toi pour m’aider à mettre de l’ordre. Tous les outils doivent
être rangés avant le dîner. »
Jack posa
son marteau et son ciseau, puis rangea avec soin, dans la cabane de Tom, la
pierre sur laquelle il travaillait ; ensuite il fit le tour du chantier
avec Tom. Les autres apprentis balayaient les éclats de pierre, le sable, les
miettes de mortier séché, les copeaux qui jonchaient le chantier. Tom ramassa
ses compas et ses niveaux, tandis que Jack récupérait les mesures et les fils à
plomb. Ils emportèrent le tout dans la cabane. C’était là que Tom entreposait
ses perches, de longues tiges de fer, de section carrée et parfaitement
droites ; toutes exactement de même longueur. Il les gardait dans un
râtelier spécial en bois, fermé à clé. C’étaient ses bâtons de mesure.
Jack garda
une même idée en tête tout en poursuivant la tournée du chantier, ramassant au
passage des cuves à mortier et des pelles. « Quelle est la longueur d’une
perche ? » demanda-t-il finalement. Les maçons qui l’entendirent se
mirent à
Weitere Kostenlose Bücher