Les Piliers de la Terre
trous du mur. Jack
était pris au piège.
Il se
retourna. Alfred avançait vers lui. Il y avait peut-être une autre issue.
Du côté
inachevé du mur, là où le chœur allait rejoindre le transept, chaque rangée de
maçonnerie était plus courte d’une demi-pierre que celle d’en dessous, créant
ainsi un escalier fort raide de marches étroites qu’utilisaient parfois les
manœuvres les plus audacieux pour monter jusqu’à la plate-forme. Le cœur serré,
Jack s’avança prudemment jusqu’au bord. Une nausée lui souleva le cœur.
Derrière lui, Alfred arrivait. Il mit le pied sur la première marche.
Jack ne
comprenait pas pourquoi Alfred se montrait si téméraire, lui qui n’avait jamais
été courageux. On aurait dit que la haine émoussait sa peur du danger. Comme il
descendait après lui ce vertigineux escalier, Alfred gagnait du terrain. Ils
étaient encore à plus de douze pieds du sol quand Jack se rendit compte
qu’Alfred allait l’atteindre. Désespéré, il sauta sur le toit de chaume du
chalet des charpentiers. Il rebondit de là sur le sol, mais en tombant il se
tordit la cheville et s’écroula.
Les
secondes qu’il avait perdues dans sa chute avaient permis à Alfred d’atteindre
le sol et de courir jusqu’au chalet. Un instant, Jack, qui s’était redressé,
resta appuyé le dos au mur. Alfred s’arrêta, attendant de voir de quel côté il
allait sauter. Jack fit un pas et recula dans le chalet. Il n’y avait pas un
artisan à l’intérieur, car ils étaient tous réunis autour du tonneau de bière
d’Enid. Sur les établis se trouvaient les marteaux, les scies, les ciseaux et
le bois avec lequel ils travaillaient. Au milieu du plancher, un grand morceau
de coffrage destiné à bâtir un arc ; et au fond, contre le mur de
l’église, un feu alimenté par les copeaux et les déchets de bois. Pas d’issue.
Jack se retourna pour affronter Alfred. Il était traqué. Un moment la terreur
le paralysa. Puis la peur céda la place à la colère. Peu m’importe si je me
fais tuer, mais Alfred n’en sortira pas indemne. Il n’attendit pas qu’Alfred
commence ; il baissa la tête et chargea de tout son poids.
Alfred
s’attendait à tout, sauf à cela. Le front de Jack le heurta en pleine bouche.
Malgré son petit gabarit, il éprouvait tant de rage que ses forces en étaient
décuplées. En retrouvant son équilibre, Jack vit qu’Alfred avait les lèvres en
sang et il en éprouva une grande satisfaction.
Le temps
qu’Alfred, pris de court, réagisse, Jack avisa un grand marteau posé contre un
établi. Comme Alfred reprenait ses esprits et fonçait sur lui, ce dernier
souleva la lourde masse et l’abattit de toutes ses forces. Alfred esquiva le
coup, mais l’avantage était passé à Jack. Encouragé, il renouvela son attaque,
savourant déjà le bruit des os broyés par la lourde masse. Malgré toute son
énergie, une fois de plus il manqua Alfred ; mais il heurta le poteau qui
soutenait le toit du chalet.
Ce n’était
pas une construction très solide. Personne n’y habitait. Sa seule fonction
était de permettre aux charpentiers de travailler quand il pleuvait. Le poteau
heurté par le marteau se déplaça. Les murs étaient des claies fragiles de
branchages entrelacés qui ne supportaient aucun poids : le toit de chaume
fléchit. Alfred leva un regard inquiet. Jack souleva son marteau. Alfred
recula, trébucha sur un tas de madriers et tomba lourdement assis. Jack brandit
son arme pour assener le coup final, mais ses bras soudain furent bloqués par
une poigne robuste. Derrière lui se tenait le prieur Philip, pâle de colère,
qui lui arracha le marteau des mains.
D’un seul
coup, le toit du chalet s’effondra. En tombant dans le feu, le chaume bien sec
s’enflamma aussitôt et en un instant le bâtiment n’était plus qu’un brasier. On
oublia Alfred et Jack pour concentrer tous les efforts à la lutte contre
l’incendie. Jack, à l’écart, regardait le désastre, ahuri et désemparé. Est-ce
que j’allais vraiment fracasser la tête d’Alfred avec un marteau ? songea-t-il,
incrédule. Toute la scène lui semblait irréelle. Il était encore hébété quand,
à force d’eau et de terre, le feu finit par céder.
Essoufflé
par l’effort, le prieur Philip désigna le gâchis. « Regardez-moi ça,
dit-il à Tom, furieux. Un chalet démoli. Le travail des charpentiers ruiné. Un
tonneau de chaux gâché et une partie de la nouvelle maçonnerie
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