Les Piliers de la Terre
donné, que même son propre père n’aurait pas pu lui offrir ;
quelque chose qui s’appelait passion, talent, art et mode de vie. « Tu
m’as donné la cathédrale, murmura Jack au mort allongé près de lui.
Merci. »
QUATRIÈME PARTIE
I
La
prophétie de Philip gâchait le triomphe de William : au lieu d’éprouver
satisfaction et jubilation, il ne pouvait se défaire de l’obsession qui le
poursuivait : l’enfer l’attendait.
Sa réponse
railleuse au prieur, il la devait à l’excitation du combat. Mais quand tout fut
terminé, quand il eut emmené ses hommes loin de la ville en flammes ;
quand leurs chevaux et leurs battements de cœur eurent repris une allure
normale ; quand il eut le temps de repenser au raid et de songer au nombre
de gens qu’il avait blessés, brûlés et tués… alors il se souvint du visage terrible
de Philip et de son doigt braqué vers les entrailles de la terre, il se souvint
de ses funestes paroles : Ta place est en enfer !
Lorsque la
nuit tomba, il était au plus bas. Ses hommes d’armes revivaient l’attaque,
commentaient les grands moments et savouraient le massacre. Mais bientôt la
morosité de leur chef les réduisit à un silence maussade. Ils passèrent cette
nuit-là dans le manoir d’un des plus gros fermiers de William. Au souper, les
hommes s’enivrèrent sans joie. Le fermier, sachant les besoins qu’éprouvent les
hommes après une bataille, avait convoqué quelques prostituées de
Shiring ; exceptionnellement, les affaires ne furent pas brillantes.
William ne ferma pas l’œil de la nuit, tremblant à l’idée qu’il pourrait mourir
dans son sommeil et se réveiller au milieu de l’enfer.
Le
lendemain matin, au lieu de rentrer à Earlscastle, il s’en alla voir l’évêque
Waleran. Celui-ci n’était pas à son palais quand ils arrivèrent, mais le doyen
Baldwin annonça à William qu’il l’attendait dans l’après-midi. William passa la
journée dans la chapelle, les yeux fixés sur la croix de l’autel et frissonnant
malgré la chaleur de l’été.
Lorsque
Waleran, drapé dans sa robe noire, entra en trombe dans la chapelle, William
lui aurait baisé les pieds. Pourtant l’évêque ne se montra guère accueillant.
« Que faites-vous ici ? » demanda-t-il d’un ton glacial.
William se
leva, s’efforçant de dissimuler la terreur qui l’habitait derrière un air
assuré. « Je viens d’incendier la ville de Kingsbridge…
— Je
sais, interrompit Waleran. On ne m’a parlé que de cela toute la journée.
Qu’est-ce qui vous a pris ? Vous êtes fou ? »
La
réaction de l’évêque prit William complètement au dépourvu. Il n’avait pas
demandé à Waleran son accord avant l’attaque, tant il était sûr que celui-ci l’approuverait :
Waleran détestait tout ce qui se rapportait à Kingsbridge, et surtout le prieur
Philip. William s’attendait à des félicitations, à des remerciements. « Je
viens de ruiner votre plus grand ennemi, dit William. J’ai besoin maintenant de
confesser mes péchés.
— Vous
faites bien, dit Waleran. On dit que plus de cent personnes ont été brûlées
vives. » Il frissonna. « Quelle horrible mort !
— Je
suis prêt à me confesser », répéta William.
Waleran
secoua la tête. « Je ne pense pas que je puisse vous donner
l’absolution. » Un cri échappa aux lèvres de William. « Pas
d’absolution ?
— Vous
savez que l’évêque Henry de Winchester et moi avons pris de nouveau le parti du
roi Stephen. Je ne crois pas que le roi me verrait d’un bon œil absoudre de ses
crimes un partisan de la reine Maud.
— Enfin,
Waleran, c’est vous qui m’avez persuadé de changer de camp ! »
Waleran
haussa les épaules. « Eh bien, changez une fois de plus. »
C’était
donc là le plan de Waleran. Il voulait que William fasse serment d’allégeance à
Stephen. L’horreur qu’il avait montrée en apprenant l’incendie de Kingsbridge
était une feinte, une attitude lui permettant de négocier. William se sentit
grandement soulagé : Waleran au fond ne lui refuserait pas implacablement
l’absolution. Mais lui, William, avait-il envie de changer encore de
bannière ? Pendant un moment, il s’efforça d’y réfléchir froidement.
« Tout
l’été Stephen n’a cessé de remporter des victoires, poursuivit Waleran. Maud
supplie son mari de revenir de Normandie pour l’aider, mais il refuse.
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