Les Piliers de la Terre
était guéri. Sa température était normale et il ne semblait pas
souffrir. Elle lui donna le sein qu’il téta avidement. Puis il plongea dans un
sommeil satisfait.
Aliena
s’aperçut que ses symptômes à elles avaient disparu aussi, bien qu’elle se
sentît très fatiguée. Peut-être était-ce l’eau bénite de Saint-Martin qui avait
guéri le bébé ? Cet après-midi-là, elle se rendit sur la tombe du saint
pour lui exprimer sa gratitude.
Dans la
grande église abbatiale, elle regardait les bâtisseurs au travail, songeant à
Jack qui, elle l’espérait tant, pourrait peut-être encore voir son bébé. Elle
se demanda s’il ne s’était pas écarté de la route prévue. Peut-être
travaillait-il à Paris, sculptant des pierres pour une nouvelle cathédrale
là-bas. Tandis qu’elle pensait à lui, son regard se posa sur une console que
les maçons étaient en train d’installer. La sculpture représentait une
silhouette d’homme qui semblait soutenir sur son dos le poids du pilier. Elle
ne put retenir un cri. Sans l’ombre d’un doute, c’était Jack qui avait taillé
cette silhouette tordue et suppliciée. Il avait donc séjourné ici !
Le cœur
battant, elle s’approcha des hommes au travail. « Cette console…, dit-elle
hors d’haleine. L’homme qui l’a sculptée était anglais, n’est-ce
pas ? »
Un vieil
ouvrier au nez cassé lui répondit : « C’est exact : c’est Jack
Jackson qui l’a fait. Je n’ai jamais rien vu de pareil de ma vie.
— Quand
est-il passé ? » interrogea Aliena. Elle retint son souffle tandis
que le vieil homme grattait ses cheveux grisonnants.
« Ça
doit faire près d’une année. Il n’est pas resté longtemps. Le maître ne
l’aimait pas. » Il baissa la voix. « Si vous voulez savoir la vérité,
Jack était trop bien. Il pouvait en remontrer au maître bâtisseur. Il a donc dû
partir.
— A-t-il
dit où il allait ? demanda Aliena tout excitée.
— Cet
enfant-là, reprit le vieil homme en regardant le bébé, c’est le sien, si on se
fie à ses cheveux.
— Oui,
c’est le sien.
— Jack
sera content de vous voir, vous pensez ? »
Aliena
comprit que l’ouvrier soupçonnait Jack de l’avoir quittée. Elle éclata de rire.
« Oh, oui ! cria-t-elle. Il sera content de me voir.
— Il
a dit qu’il allait à Compostelle.
— Merci ! »
lança Aliena, radieuse. Et, à la stupéfaction ravie du vieil homme, elle
l’embrassa.
Les
chemins de pèlerinage traversant la France convergeaient à Ostabat, au pied des
Pyrénées. Là, le groupe d’une vingtaine de pèlerins avec lesquels Aliena
voyageait augmenta jusqu’à près de soixante-dix personnes aux pieds endoloris
mais à l’humeur joyeuse. S’y mêlaient des citoyens prospères, d’autres qui
fuyaient sans doute la justice, quelques ivrognes, et plusieurs moines et
clercs. Les hommes de Dieu voyageaient pour des raisons de piété, mais les
autres semblaient surtout décidés à prendre du bon temps. On parlait plusieurs
langues, le flamand, un dialecte allemand et une langue du sud de la France
qu’on appelait la langue d’oc. Ces différences ne les empêchaient pourtant pas
de communiquer et ensemble ils chantaient, jouaient, racontaient des histoires
et fleurtaient même parfois.
Après
Tours, Aliena reperdit la trace de Jack. Il y avait moins de jongleurs sur sa
route qu’elle l’avait imaginé. L’un des pèlerins flamands, un homme qui avait
déjà fait le voyage, assura qu’elle en rencontrerait davantage sur le versant
espagnol.
Il avait
raison. A Pampelune, Aliena se réjouit de lier connaissance avec un jongleur
qui, en effet, avait parlé à un jeune Anglais aux cheveux roux, à la recherche
d’informations concernant son père.
A mesure
que les pèlerins fatigués avançaient lentement vers la côte en traversant le
nord de l’Espagne, Aliena faisait d’autres rencontres. La plupart des jongleurs
se souvenaient de Jack. Tous s’accordaient à dire qu’il était à
Compostelle : personne ne l’avait rencontré sur le chemin du retour.
Aliena se sentait de plus en plus excitée.
Le bébé,
maintenant âgé de six mois, était sain et joyeux. Tout allait s’arranger à
Compostelle.
Elle arriva
dans la ville le jour de Noël. D’abord elle alla droit à la cathédrale pour
assister à la messe. L’église, naturellement, était bondée. Aliena circula dans
la foule, scrutant chaque visage. Pas de Jack. C’est vrai
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