Les Piliers de la Terre
matin où ils
devaient appareiller, ils attendirent tous à la taverne tandis que l’équipage
chargeait de lourds lingots d’étain de Cornouailles. Les maçons vidèrent
plusieurs pots de bière, sans être ivres pour autant. Aliena serrait le bébé
dans ses bras et pleurait en silence.
Le bateau
enfin fut prêt à lever l’ancre. La robuste jument noire qu’Aliena avait achetée
à Shiring, n’ayant jamais vu la mer, refusa de monter sur la passerelle. Mais
grâce à l’enthousiaste collaboration de l’écuyer et des maçons, on finit par
l’amener à bord.
Aliena,
aveuglée par les larmes, confia son bébé à Ellen qui le prit en disant :
« J’ai eu tort de vous conseiller cette solution. »
Les larmes
d’Aliena redoublèrent. « Mais il y a Jack, sanglota-t-elle. Je ne peux pas
vivre sans lui, je sais que je ne peux pas. Il faut que je le trouve.
— Bien
sûr, approuva Ellen. Je ne vous suggère pas de renoncer au voyage ; mais
vous ne pouvez pas laisser votre bébé. Emmenez-le avec vous. »
Eperdue de
gratitude. Aliena redoubla de sanglots. « Vous croyez vraiment ?
— Il
a été heureux comme tout de chevaucher avec vous. Le reste du voyage se passera
de la même façon. D’ailleurs, il n’aime pas beaucoup le lait de chèvre.
— Allons,
pressons, mesdames, dit le capitaine du vaisseau. La marée va tourner. »
Aliena
reprit son enfant et embrassa Ellen. « Merci. Je suis si heureuse.
— Bonne
chance », murmura Ellen.
Aliena
monta en courant à bord.
Le navire
prit aussitôt la mer. Comme il sortait à la rame de la rade de Poole, il se mit
à pleuvoir En l’absence d’abri sur le pont. Aliena s’installa à fond de cale,
avec les chevaux et la cargaison. Quand la nuit tomba et que le bateau jeta
l’ancre. Aliena se joignit aux moines dans leurs prières. Puis elle dormit d’un
sommeil agité, le bébé dans les bras.
Ils
touchèrent terre à Barfleur, le lendemain, et Aliena trouva à se loger dans la
ville la plus proche : Cherbourg. Elle passa toute une journée à circuler
dans la cité, parlant aux aubergistes et aux bâtisseurs, leur demandant s’ils
se rappelaient un jeune maçon anglais aux cheveux d’un roux flamboyant.
Personne ne se souvenait de lui. Il y avait beaucoup de Normands roux, aussi ne
l’avaient-ils peut-être pas remarqué. Ou bien il avait pu débarquer par un
autre port.
Aliena ne
comptait pas retrouver la trace de Jack si vite, mais néanmoins le
découragement la prit. Elle repartit le lendemain vers le sud, en compagnie
d’un vendeur de couteaux et de sa joyeuse épouse flanquée de leurs quatre
enfants. Malgré la protection que lui assurait cette famille, elle gardait son
poignard à la lame aiguisée attaché par une courroie à son avant-bras gauche.
Elle n’avait pas l’air riche : ses vêtements étaient chauds mais sans
élégance et son cheval était plus robuste que fringant. Elle prenait soin de
garder quelques pièces de monnaie dans une bourse et de ne jamais montrer à
personne la lourde ceinture qu’elle portait sous sa tunique et où elle avait
serré son argent. Elle nourrissait le bébé discrètement, en évitant de laisser
les étrangers voir sa poitrine.
Cette
nuit-là, un merveilleux coup du hasard la réconforta. Les voyageurs
s’arrêtèrent dans un petit village du nom de Lessay, où Aliena rencontra un
moine qui se souvenait fort bien d’un jeune maçon anglais fasciné par la
nouvelle voûte en ogive de l’église abbatiale. Le moine se souvenait même
d’avoir entendu Jack raconter qu’il avait débarqué à Honfleur, ce qui
expliquait pourquoi il n’y avait pas trace de lui à Cherbourg. Ce fut pour
Aliena la confirmation qu’elle était sur la bonne piste.
Elle finit
par quitter le moine et s’allongea pour dormir sur le sol de l’hôtellerie de
l’abbaye. En sombrant dans le sommeil, elle serra fort le bébé contre elle et
murmura dans la petite oreille toute rose : « Nous allons retrouver
ton papa. »
A Tours,
le bébé tomba malade.
La ville
était riche, sale et surpeuplée. Des rats couraient en meute autour des grands
entrepôts à grains, sur les bords de la Loire. On y trouvait aussi de nombreux
pèlerins car Tours était un point de départ traditionnel pour le pèlerinage de
Compostelle. Aliena eut le plus grand mal à se loger et elle dut descendre dans
une taverne délabrée sur les quais, tenue par deux vieilles sœurs trop âgées et
trop frêles pour faire
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