Les Piliers de la Terre
sur le toit de l’infirmerie
avec leurs arcs et leurs flèches : c’étaient les meilleurs archers de la
ville. Jack gagna le coin nord-est et grimpa sur le remblai de terre, scrutant
par-delà le champ les bois d’où allaient émerger les hommes de William.
Le soleil
montait dans le ciel. Encore une journée chaude et sans nuage. Les moines
firent le tour de l’enceinte, pour distribuer du pain et de la bière. Jack se
demandait jusqu’où irait William en amont de la rivière. Il y avait à une
demi-lieue de là un gué où un bon cheval pouvait traverser à la nage, mais le
passage paraîtrait risqué à un étranger, et sans doute William irait-il une
lieue plus loin où il trouverait un gué moins profond.
Jack
pensait à Aliena. Il aurait voulu aller la voir au réfectoire, mais il hésitait
à quitter le rempart ; car d’autres pourraient l’imiter et la muraille
resterait sans défense.
Il
hésitait encore quand un cri lui parvint : les cavaliers réapparaissaient.
Ils sortaient des bois, à l’est, si bien que Jack, en suivant leurs mouvements,
avait le soleil dans les yeux. Astucieuse stratégie, reconnut Jack, dont la vue
se brouillait de larmes. Il se rendit compte néanmoins qu’ils chargeaient. Jack
se figea de peur. Les assaillants étaient déterminés à ouvrir une brèche dans
le mur de protection.
Les
chevaux traversèrent le champ au triple galop. Un ou deux assiégés lancèrent
quelques flèches. Richard, posté auprès de Jack, explosa : « C’est
trop tôt ! trop tôt ! Attendez qu’ils soient dans le fossé… Là, vous
ne pourrez pas les manquer ! » On l’entendit mal et une petite pluie
de flèches vint se gaspiller sur les pousses d’orge encore vertes, au bord du
champ. Comme force militaire, nous ne valons vraiment rien, songea Jack. Seule
la muraille peut nous sauver. Il avait une pierre dans une main et dans
l’autre, une fronde comme celle dont il se servait étant enfant, quand il
abattait des canards pour son dîner. Saurait-il encore viser ? Ses doigts
étaient si crispés sur son arme qu’ils en étaient blancs et Jack s’obligea à se
détendre. Les pierres étaient efficaces contre les canards, mais bien ridicules
devant ces hommes en armures et montés sur leurs puissants chevaux dont le
galop de tonnerre approchait à chaque seconde. Jack avait la gorge sèche. Certains
assaillants, il le constata, étaient armés d’arcs et de flèches enflammées. Les
archers se dirigèrent vers les murs de pierre et les autres hommes d’armes vers
les remblais de terre. Donc William ne pensait pas prendre d’assaut la
muraille : il ne se rendait pas compte que le mortier était si frais qu’on
pouvait faire tomber le mur à la main. Jack connut un bref instant de triomphe.
Puis les
attaquants atteignirent les murs.
Les
défenseurs tiraient au petit bonheur et une grêle de flèches s’abattit sur les
cavaliers. Même en visant mal, ils firent plusieurs victimes. Les chevaux
arrivèrent au fossé. Les uns renâclèrent, d’autres plongèrent pour remonter de
l’autre côté. Juste en face de l’endroit où se trouvait Jack, un énorme
gaillard vêtu d’une cotte de mailles bosselée fit sauter par-dessus le fossé
son destrier qui se reçut au bas du remblai. Il commença à grimper la pente.
Jack chargea sa fronde et lança sa pierre. Il n’avait pas perdu la main :
le caillou toucha le cheval entre les naseaux. Pataugeant déjà dans la terre
meuble, l’animal poussa un hennissement de douleur, se cabra et fit demi-tour
au petit trot, tandis que le cavalier glissait sur le sol et dégainait son
épée.
La plupart
des chevaux avaient tourné bride, soit de leur propre initiative, soit sur
l’ordre de leurs cavaliers. Quelques hommes d’armes attaquaient à pied et
d’autres revenaient, prêts à lancer un nouvel assaut. D’un coup d’œil
par-dessus son épaule, Jack constata que plusieurs toits de chaume étaient en
feu, malgré les efforts des jeunes femmes de la ville qui s’employaient à
éteindre les flammes. Jack se dit avec consternation que leur plan allait
échouer. Malgré leur acharnement héroïque des dernières trente-six heures, les
sauvages qui les attaquaient allaient franchir la muraille, incendier la ville
et massacrer la population.
Les
assaillants lancèrent une nouvelle charge ; ceux d’entre eux qui avaient
perdu leur monture attaquèrent les remparts à pied. Des pierres et des flèches
tombaient en pluie
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