Les Piliers de la Terre
ininterrompue sur eux. Jack actionnait sans relâche sa
fronde, chargeant et lançant, chargeant et lançant comme une machine. Sous
cette grêle de projectiles, un certain nombre d’ennemis tombèrent. Juste devant
Jack, un cavalier désarçonné perdit son casque, révélant une crinière de
cheveux jaunes : William en personne.
Pas un des
chevaux ne parvint en haut du remblai, mais quelques combattants à pied
réussirent et, sous le regard horrifié de Jack, les assiégés durent combattre
au corps à corps, luttant contre les épées et les lances de l’ennemi avec des
bâtons et des haches. Jack était consterné : la ville était en train de
perdre la bataille.
Mais
chaque assaillant qui franchissait la muraille se trouva entouré aussitôt de
huit ou dix habitants frappant sans merci et pas un des agresseurs n’en
réchappa. Les assiégés entreprirent alors de repousser ceux qui attaquaient en
bas des remparts. Les cavaliers encore en selle tournaient en rond, indécis,
tandis que quelques escarmouches se poursuivaient sur la pente des remblais.
Jack souffla un moment, heureux de ce répit, non sans craindre pourtant le
prochain assaut de l’ennemi.
William
brandit son épée et cria pour attirer l’attention de ses hommes. Il agita sa
lame en l’air puis la braqua vers la muraille. Les hommes se regroupèrent et s’apprêtèrent
à attaquer une fois de plus.
Jack
profita de l’occasion.
Il choisit
une lourde pierre, chargea sa fronde et visa William avec soin.
La pierre
fila suivant une trajectoire aussi droite qu’un trait tracé par un maçon et
toucha William en plein milieu du front, avec une telle violence qu’on entendit
le choc du caillou sur l’os.
William
s’écroula.
Il y eut
un flottement parmi les hommes et la charge se trouva stoppée dans son élan.
Un grand
gaillard brun sauta à terre et se précipita vers le comte. Jack crut
reconnaître Walter, le valet de William et son constant compagnon. Jack espéra
follement que William était mort. Mais il bougea et son valet l’aida à se
relever, tout étourdi. Dans les deux camps, les regards étaient tournés vers
lui, la grêle de pierres et de flèches suspendue.
Encore
vacillant, William, aidé de Walter, monta en croupe sur le cheval de celui-ci.
L’hésitation planait dans les rangs. Chacun se demandait si leur chef allait
pouvoir continuer. De son épée Walter rallia les hommes puis, à l’indicible
soulagement de Jack, la pointa vers les bois.
Walter
éperonna le cheval et la troupe partit au galop. Ceux qui combattaient encore
sur les remparts abandonnèrent la bataille pour se précipiter à travers champs
à la suite de leur chef.
Les
habitants de Kingsbridge poussèrent des hurlements de joie. Jack regarda autour
de lui, encore abasourdi. Était-ce terminé ? Il avait du mal à y croire.
Les incendies s’éteignaient, des hommes dansaient sur les remblais en
s’étreignant. Richard s’approcha et lui donna une grande claque dans le dos.
« C’est le mur qui les a arrêtés, Jack, dit-il. Ton mur. »
Tout le
monde, moines et civils, se rassemblait autour des deux hommes pour les
féliciter et se congratuler.
« Ils
sont partis pour de bon ? demanda Jack.
— Oh
oui ! répondit Richard. Ils ne reviendront pas, maintenant qu’ils ont
découvert que nous sommes décidés à défendre les murs. William sait qu’on ne
peut pas prendre une ville protégée par une enceinte si les assiégés sont
résolus à résister. Ou alors avec une nombreuse armée et un siège de six mois.
— Alors,
dit Jack, ahuri, c’est fini ? »
Aliena se
fraya un chemin à travers la foule, Tommy dans les bras. Jack les embrassa
ensemble. Ils étaient en vie, ils étaient réunis et ils en remerciaient le ciel.
Jack
sentit d’un seul coup l’effet de ses deux jours sans sommeil. Une sorte de
faiblesse le prit. Il aurait voulu s’allonger. Mais pas question : de
jeunes maçons l’empoignaient et le hissaient sur leurs épaules. Les
acclamations fusaient de toutes parts. La foule formait cortège. Jack aurait
voulu dire que ce n’était pas lui qui avait sauvé les habitants de Kingsbridge,
qu’ils avaient gagné eux-mêmes leur victoire ; mais on ne l’écouterait
pas, car la foule voulait un héros. A mesure que la nouvelle se répandait que
la victoire était acquise, les vivats augmentaient. Depuis tant d’années qu’ils
vivent dans la crainte de William, songea Jack, aujourd’hui ils ont enfin
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