Les Piliers de la Terre
a
toujours quelque chose à manger pour un pauvre. » Philip se leva. Il avait
dans la bouche le goût amer de l’hypocrisie : en réalité les monastères ne
pouvaient absolument pas nourrir tous les hors-la-loi. La plupart d’entre eux
n’avaient vraiment d’autre choix que le vol. Mais le rôle d’un prieur était de
guider les hommes vers une existence vertueuse, pas de trouver des excuses au
péché.
Philip ne
pouvait pas en faire plus pour le mendiant. Il reprit à Richard les rênes de
son cheval et remonta en selle. « Passe ton chemin et ne pèche
plus », conseilla-t-il en citant Jésus. Puis il poussa son cheval.
« Vous
êtes vraiment trop bon, observa Richard en lui emboîtant le pas.
— Mon
vrai défaut, riposta Philip en secouant tristement la tête, c’est que je ne
suis pas assez bon. »
Le
dimanche précédant la Pentecôte, William Hamleigh se maria. C’était une idée de
sa mère, qui le harcelait depuis des années pour qu’il prît femme et conçût un
héritier. Il avait toujours remis cette corvée au lendemain. Les femmes
l’ennuyaient, l’angoissaient même, sans qu’il sache vraiment pourquoi, il
n’avait pas envie d’y réfléchir. Il ne cessait de promettre qu’il se marierait
bientôt, mais il ne passait jamais aux actes.
Ce fut
Regan pour finir qui lui trouva une épouse.
Elle
s’appelait Elizabeth. C’était la fille de Harold de Weymouth, un riche
chevalier, chaud partisan de Stephen. Comme sa mère l’expliqua à William, avec
un peu d’efforts il aurait pu trouver mieux, épouser la fille d’un comte, mais
puisqu’il ne voulait pas s’occuper de son propre sort, Elizabeth ferait
l’affaire.
William
l’avait vue à la cour du roi, à Winchester, et Regan avait surpris son regard
sur cette enfant à la jolie frimousse, entourée d’une masse de boucles châtain
clair, aux seins ronds, aux hanches étroites : exactement le type de
William. Elizabeth avait quatorze ans.
En la
voyant, William s’était imaginé qu’il la rencontrait par une nuit sombre et la
prenait de force dans une ruelle de Winchester. L’idée du mariage ne lui avait
pas traversé l’esprit. Cependant Regan ne tarda pas à découvrir que le père
n’était pas hostile à cette union ; quant à la fille, c’était une enfant
obéissante qui ferait ce qu’on lui dirait. Ayant assuré à William que ne se
renouvellerait pas l’humiliation infligée à leur famille par Aliena, Mère
arrangea une rencontre.
William
était nerveux. La dernière fois qu’il s’était trouvé dans la même situation, il
avait vingt ans, pas d’expérience. Jeune fils de chevalier, il faisait la
connaissance d’une arrogante jeune dame de la noblesse qui le traitait de haut.
Mais aujourd’hui, endurci par les combats, âgé de trente-sept ans, comte de
Shiring depuis dix ans, il n’allait pas s’énerver bêtement comme un blanc-bec à
cause d’un rendez-vous avec une fille de quatorze ans.
Elle était
encore plus tendue que lui, d’autant qu’elle tenait désespérément à lui plaire.
Elle se mit à parler avec excitation de sa maison et de sa famille, de ses
chevaux et de ses chiens, de ses parents et de ses amis. Lui restait silencieux
et l’observait en essayant de l’imaginer nue.
L’évêque
Waleran les maria dans la chapelle d’Earlscastle. Il y eut un grand festin qui
se prolongea toute la journée. Selon la coutume, on avait invité tous les gens
importants du comté et William aurait perdu la face s’il n’avait pas donné un
banquet somptueux. On rôtit donc trois bœufs entiers et des douzaines de
moutons et de porcs dans l’enceinte du château. Les invités épuisèrent les
provisions de bière, de cidre et de vin de la cave. La mère de William
présidait aux festivités, son visage défiguré arborant un air de triomphe.
L’évêque Waleran, trouvant répugnantes ces réjouissances vulgaires, partit
quand l’oncle de la mariée se mit à plaisanter gaillardement le jeune couple.
Celui-ci
se retira à la tombée de la nuit, tandis que les invités continuaient à
festoyer. William avait assisté à suffisamment de mariages pour savoir à quoi
l’exposaient les inventions scabreuses des plus jeunes convives ; aussi
posta-t-il Walter en faction devant la chambre dont il barricada la porte pour
ne pas être dérangé.
Elizabeth
ôta sa tunique et ses chaussures. En simple chemise de lin, elle déclara avec
simplicité : « Je ne sais pas quoi
Weitere Kostenlose Bücher