Les Piliers de la Terre
tenait spécialement à ce
livre, mais à cause de la saleté répugnante du voleur.
Plus il
s’agitait, plus il s’empêtrait dans la courroie de son sac. Le voleur ne
lâchait pas prise. Ils roulèrent l’un sur l’autre. Philip se rendit vaguement
compte que son cheval s’était échappé. Enfin Richard empoigna le voleur. Philip
se redressa mais, au lieu de se relever tout de suite, étourdi et hors
d’haleine, il reprit son souffle, se tâta : rien de cassé.
Richard
avait plaqué l’homme au sol et le maintenait d’un pied posé entre ses
omoplates, la pointe de son épée appuyée sur sa nuque. Jonathan, abasourdi,
tenait par la bride les deux chevaux qui restaient.
Philip se
releva maladroitement. Quand j’avais l’âge de Jonathan, je pouvais tomber de
cheval et ressauter aussitôt en selle, pensa-t-il non sans dépit.
« Si
vous gardez ce cloporte à l’œil, dit Richard, je vais rattraper votre
cheval. » Il tendit son épée à Philip.
« D’accord,
mais gardez votre épée. Je n’en aurai pas besoin. »
Richard
hésita, puis rengaina son arme. Le voleur ne bougeait pas. D’ailleurs, le
malheureux, trop faible pour étrangler un poulet, n’avait jamais présenté un
réel danger. Richard partit à la recherche du cheval de Philip.
Quand le
voleur vit Richard s’éloigner, il changea d’expression. Philip devina aussitôt
qu’il guettait l’occasion de s’enfuir. Il l’arrêta donc. « Voudrais-tu
quelque chose à manger ? » demanda-t-il.
L’homme
regarda Philip comme s’il avait affaire à un fou.
Le prieur
alla vers le cheval de Jonathan et ouvrit un sac de selle d’où il tira un pain.
Il le rompit et en offrit la moitié au voleur. Comme s’il craignait qu’on
change d’avis, l’homme s’en empara et en fourra aussitôt le plus gros dans sa
bouche.
Philip
s’assit sur le sol pour se reposer et l’observer. L’homme mangeait comme un
animal, s’efforçant d’avaler le plus possible avant qu’on ait l’idée de lui
retirer sa pitance. Maintenant qu’il le voyait mieux, Philip se rendait compte
que l’homme qu’il avait pris pour un vieillard n’avait guère plus de vingt-cinq
ans.
Quand
Richard revint, ramenant le cheval de Philip, il s’indigna de voir le voleur en
train de manger. « Pourquoi lui avez-vous donné notre nourriture ?
dit-il à Philip.
— Parce
qu’il meurt de faim. »
Richard ne
répondit pas, mais son expression disait clairement qu’à son avis les moines
perdaient le sens.
L’homme
avait dévoré tout le pain. « Comment t’appelles-tu ? » demanda
Philip.
L’homme,
méfiant, hésita. Philip pensa qu’il n’avait peut-être pas parlé à un autre être
humain depuis longtemps. Il répondit enfin : « David. »
En tout
cas, se dit Philip, il n’avait pas perdu l’esprit.
« Que
t’est-il arrivé, David ? interrogea-t-il.
— J’ai
perdu ma ferme après la dernière récolte.
— Qui
était ton propriétaire ?
— Le
comte de Shiring. »
William
Hamleigh ! Philip n’était pas surpris.
Des
milliers de fermiers n’avaient pas pu payer leur loyer après les trois
mauvaises récoltes. Philip, quand les fermiers se trouvaient dans ce cas,
oubliait simplement de réclamer. De toute façon, un fermier qui se trouvait en
difficulté finissait toujours par venir demander la charité au prieuré. Mais
d’autres propriétaires, notamment le comte William, profitaient de la crise
pour expulser les fermiers défaillants et reprendre possession du domaine.
Résultat : une augmentation considérable du nombre des hors-la-loi vivant
dans la forêt et attaquant les voyageurs. C’était pourquoi Philip emmenait
partout Richard comme garde du corps.
« Et
ta famille ? demanda Philip.
— Ma
femme est retournée chez sa mère avec le bébé. Il n’y avait pas de place pour
moi. »
C’était
une histoire malheureusement banale. « David, reprit Philip, c’est un
péché de porter la main sur un moine et c’est mal de vivre du vol.
— Comment
donc voulez-vous que je vive ? s’écria le malheureux.
— Si
tu peux rester dans la forêt, attrape des oiseaux.
— Je
ne sais pas !
— Comme
voleur, poursuivit Philip, tu ne vaux rien. Quelle chance de réussite avais-tu,
sans arme, contre trois, dont l’un, Richard que voici, est armé jusqu’aux
dents ?
— J’étais
à bout.
— Eh
bien, la prochaine fois que tu seras désespéré, va jusqu’à un monastère. Il y
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