Les Piliers de la Terre
réussir.
— Je
crois que oui, dit la jeune femme avec détermination. Je crois vraiment que
oui. »
Elles
s’assoupirent. De temps en temps, les hurlements du vent faisaient sursauter
Aliena. Elle constata que la plupart des gens dormaient par à coups, d’un sommeil
entrecoupé de sursauts.
Il devait
être près de minuit lorsqu’elle s’éveilla brusquement. Cette fois elle avait
dormi au moins une heure. Autour d’elle, on dormait aussi d’un sommeil profond.
Elle changea de position, et rajusta son manteau. La tempête ne se calmait pas,
mais la fatigue l’emportait sur l’inquiétude. La pluie qui giflait les murs de
l’église était comme les vagues qui se brisent sur une plage : ce bruit
régulier la berça jusqu’au sommeil.
Une fois
de plus, elle s’éveilla en sursaut, l’oreille tendue. Ce qui l’avait tirée du
sommeil, c’était le silence. La tempête était terminée. Une faible lueur grise
filtrait par les fenêtres. Tout le monde dormait à poings fermés.
Aliena se
leva. Son mouvement dérangea Elizabeth qui ouvrit aussitôt les yeux.
Ensemble,
elles se dirigèrent vers la porte de l’église et sortirent.
La pluie
avait cessé et le vent n’était plus qu’une brise. Le ciel de l’aube, où le
soleil n’était pas encore levé, avait une teinte gris perle. Aliena et
Elizabeth regardèrent autour d’elles.
Le village
avait disparu.
A part
l’église, il ne restait pas un bâtiment debout. Quelques lourds madriers
étaient venus s’abattre sur le flanc de l’église, mais à part cela, seules les
pierres des âtres parsemant la mer de boue témoignaient de l’emplacement des
maisons. A la limite du village, cinq ou six vieux arbres, des chênes et des
châtaigniers tenaient encore le coup, bien qu’amputés de plusieurs branches.
Tous les autres avaient été déracinés.
Stupéfaites
de l’étendue des dégâts. Aliena et Elizabeth suivirent le tracé de ce qui avait
été la rue. Le sol était jonché d’éclats de bois et d’oiseaux morts. Elles
atteignirent la lisière des champs de blé. On aurait dit qu’un grand troupeau
s’y était battu toute la nuit. Les épis de blé mûrissant étaient aplatis,
brisés, arrachés. La terre était retournée et gorgée d’eau.
« Mon
Dieu ! murmura Aliena, horrifiée, encore une récolte de
perdue ! »
Elles
traversèrent le champ. Les dommages étaient partout les mêmes. Elles grimpèrent
sur une petite colline et, de là-haut, inspectèrent la campagne environnante.
Partout où se portait leur regard, elles ne voyaient que moissons saccagées,
moutons morts, arbres arrachés, prairies inondées et maisons rasées. La
destruction était telle qu’Aliena se sentit envahie d’une insoutenable
angoisse. On aurait dit, songea-t-elle, que la main de Dieu s’était abattue sur
l’Angleterre pour détruire tout ce qu’avaient fait les hommes, à l’exception
des églises.
Elizabeth
était bouleversée. « C’est terrible, murmura-t-elle. Je n’arrive pas à le
croire. Il ne reste rien.
— Rien,
fit Aliena en écho. Il n’y aura pas de récolte cette année. Rien à manger.
— Comment
les gens vont-ils faire ?
— Je
ne sais pas. » Envahie d’un mélange de compassion et de crainte, Aliena
ajouta : « L’hiver va être rude. »
II
Quatre
jours étaient passés depuis la grande tempête. Un matin, Martha redemanda de
l’argent à Jack. Il s’étonna : il lui donnait déjà six pence par semaine
pour tenir la maison et il savait qu’Aliena lui versait la même somme. Elle
avait là-dessus à nourrir quatre adultes, deux enfants, et à approvisionner
deux foyers en bois de chauffage et en paille ; mais beaucoup de familles
nombreuses à Kingsbridge ne disposaient que de six pence par semaine pour
tout : nourriture, habillement et loyer. Il lui demanda pourquoi il lui
fallait davantage.
Elle parut
embarrassée. « Tous les prix ont monté. Le boulanger réclame un penny pour
une miche de quatre livres et…
— Un
penny ! fit Jack, scandalisé. Nous devrions construire un four et cuire
notre pain nous-mêmes.
— Ma
foi, je le cuis parfois à la poêle.
— C’est
vrai. » Jack se rappela qu’ils avaient cuit ainsi leur pain deux ou trois
fois la semaine précédente.
« Mais
le prix de la farine a grimpé aussi, alors on n’économise pas grand-chose.
— Nous
devrions acheter du blé et le moudre nous-mêmes.
— Ce
n’est pas permis. Nous devons utiliser le
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