Les Piliers de la Terre
dessus, il put le suivre en observant la
végétation : l’absence d’arbres d’âge mûr, sur une largeur de douze à
quinze pieds, délimitait la piste.
Il envoya
les archers en éclaireurs et fit ralentir le reste des hommes. Dans la claire
journée de janvier, les arbres sans feuilles filtraient à peine l’éclat froid
du soleil. Cela faisait des années que William ne s’était pas rendu à la
carrière, et il ne savait plus à quelle distance elle se trouvait. Néanmoins,
au bout d’une demi-lieue, il repéra des traces indiquant que le chemin était
utilisé : végétation foulée, jeunes pousses brisées, terre piétinée.
Remigius n’avait donc pas menti.
Il se
sentait tendu comme un arc. Les traces devenaient de plus en plus
nombreuses : le doute n’était plus permis. Les hors-la-loi étaient ici. La
bataille allait commencer.
Leur
cachette devait être toute proche maintenant. William tendit l’oreille. D’un
instant à l’autre, ses archers allaient lancer l’attaque, il y aurait des cris,
des jurons, des hurlements de douleur et le hennissement de chevaux terrifiés.
Le chemin
débouchait sur une large clairière où William aperçut, à une centaine de toises
devant lui, l’entrée de la carrière de Sally. Pas un bruit. Quelque chose
d’étrange régnait dans l’atmosphère. Les archers ne tiraient pas. William sentit
un frisson d’appréhension le parcourir. Était-il arrivé un imprévu ? Ses
archers étaient-ils tombés dans une embuscade et les sentinelles les
avaient-elles liquidés sans bruit ?
Mais il
n’avait plus le temps de réfléchir. Il fallait attaquer. Il éperonna son cheval
pour le mettre au galop. Ses hommes l’imitèrent et, dans un bruit de tonnerre,
ils foncèrent vers la cachette. La peur de William se dissipa dans la griserie
de la charge.
L’accès de
la carrière formait un petit ravin tortueux dont on ne voyait pas le bout.
Levant les yeux, il aperçut quelques-uns de ses archers juchés en haut de
l’escarpement, immobiles. Pourquoi ne tiraient-ils pas ? Il eut la
prémonition d’un désastre ; il aurait bien fait halte et tourné bride,
sauf qu’on ne pouvait plus arrêter les chevaux dans leur charge. Son épée dans
la main droite, tenant les rênes de la main gauche, le bouclier accroché à son
cou, il déboucha au galop dans la carrière abandonnée.
Personne.
La
déception le frappa comme un coup d’épée. Il fut sur le point d’éclater en
sanglots. Il avait été si sûr de son affaire : tous les signes avaient
concordé. A présent la frustration lui ravageait le ventre.
Tandis que
son cheval ralentissait, il put observer les lieux et constater qu’en effet,
c’était là jusque récemment la cachette des hors-la-loi. On voyait des abris
improvisés faits de branchages et de roseaux, des vestiges de feu de camp et un
tas de crottin. Dans un coin, une barrière faite de quelques piquets avait
servi à enfermer les chevaux. Çà et là, William aperçut les vestiges d’une
occupation humaine : des os de poulet, des sacs vides, une chaussure
éculée, une cruche cassée. Un des feux fumait encore. Il eut un brusque
espoir : peut-être venaient-ils tout juste de partir et pourrait-on les
rattraper ! Puis il aperçut une silhouette isolée, accroupie par terre
auprès du feu. Il s’approcha. La silhouette se redressa. C’était une femme.
« Tiens,
tiens, William Hamleigh, dit-elle. Trop tard, comme d’habitude.
— Vache
insolente, je vais t’arracher la langue, menaça-t-il.
— Tu
ne me toucheras pas, répliqua-t-elle avec calme. J’ai jeté ma malédiction sur
de meilleurs que toi. » Elle porta la main à son visage en pointant trois
doigts, comme une sorcière. Les chevaliers reculèrent et William se signa. La
femme fixait sans crainte sur lui le regard de ses extraordinaires yeux dorés.
« Tu ne me reconnais pas, William ? Tu as essayé un jour de m’acheter
pour une livre, ajouta-t-elle en riant. Tu as eu de la chance de ne pas avoir
réussi. »
William se
souvenait de ces yeux-là. Il avait devant lui la veuve de Tom le bâtisseur, la
mère de Jack Jackson, la sorcière qui vivait dans la forêt. S’il avait pu, il
aurait immédiatement fait demi-tour mais il devait d’abord la questionner.
« Eh
bien, sorcière, déclara-t-il avec plus d’arrogance qu’il n’en était capable,
est-ce que Richard de Kingsbridge était ici ?
— Il
y a encore deux jours.
— Où
est-il allé, peux-tu
Weitere Kostenlose Bücher