Les Piliers de la Terre
me le dire ?
— Oh
oui ! Je le peux, affirma-t-elle. Lui et ses troupes sont partis combattre
pour Henry.
— Henry ? »
répéta William. Non, elle ne parlait pas de Henry…
« Le
fils de Maud ?
— Tout
juste. »
William
sentit son sang se glacer. Le jeune et énergique duc de Normandie pourrait bien
réussir là où sa mère avait échoué. Si Stephen subissait une défaite maintenant,
il entraînerait William dans sa chute. « Qu’est-il arrivé ? reprit-il
d’un ton pressant. Où est Henry ?
— Il
a traversé l’eau avec trente-six vaisseaux et débarqué à Wareham, expliqua la
sorcière d’un ton uni. On dit qu’il amène avec lui une armée de trois mille
hommes. Nous sommes envahis. »
V
Winchester
était une ville encombrée, agitée et dangereuse. Les deux armées s’y trouvaient
réunies. Les forces royales du roi Stephen étaient cantonnées au château et les
rebelles du duc Henry – y compris Richard et sa bande – campaient devant les
murs de la ville, sur la colline Saint-Giles, où se tenait la foire annuelle.
L’accès de la ville elle-même était interdit aux soldats des deux camps, mais
nombre d’entre eux bravaient cet arrêt et passaient leurs soirées dans les
tavernes, assistant aux combats de coqs, et dans les bordels où ils
s’enivraient, maltraitaient les femmes, se battaient et s’entre-tuaient à cause
de parties de dés ou de cartes.
Stephen
avait perdu tout esprit combatif depuis la mort de son fils aîné, au cours de
l’été. Il séjournait au château royal, le duc Henry habitait au palais de
l’évêque pendant que leurs représentants menaient les pourparlers de paix,
l’archevêque Théobald de Canterbury parlant pour le roi et le vieux négociateur
Henry, évêque de Winchester pour le duc Henry. Chaque matin, l’archevêque
Théobald et l’évêque Henry tenaient conférence à l’évêché. A midi, le duc Henry
traversait en cortège les rues de Winchester avec ses lieutenants – dont
Richard – pour aller dîner au château.
La
première fois qu’Aliena vit le duc, elle ne put croire que c’était là l’homme
qui gouvernait un empire de la taille de l’Angleterre. Il n’avait qu’une
vingtaine d’années, le teint hâlé et les taches de rousseur d’un paysan. Il
portait une simple tunique sombre, sans broderie, et ses cheveux roux étaient
coupés court. On aurait dit le fils d’un gros fermier prospère. Mais on
s’apercevait vite qu’il dégageait une sorte d’aura. Trapu, musclé, avec des
épaules larges et une grosse tête, il compensait cette impression de brutale
force physique par des yeux gris au regard vif et pénétrant ; les gens qui
l’entouraient ne s’approchaient jamais trop et le traitaient avec une
familiarité un peu méfiante, comme s’ils redoutaient de lui voir décocher à tout
moment un coup de griffe.
Aliena
songeait que les dîners au château devaient être abominablement tendus puisque
les chefs des armées adverses étaient assis à la même table. Elle se demandait
comment Richard pouvait supporter le voisinage du comte William. Elle aurait à
sa place volontiers plongé le couteau à découper dans le cœur de William plutôt
que dans le rôti de gibier. Pour sa part, elle ne voyait son vieil ennemi que
de loin, et de façon fugitive. Il paraissait anxieux et de méchante humeur, ce
qui était bon signe.
Tandis que
comtes, évêques et abbés se retrouvaient au donjon, les notables de moindre
importance se rassemblaient dans la cour du château : chevaliers et
shérifs, petits barons, hommes de justice et gouverneurs, tous ceux qui ne
pouvaient rester éloignés de la capitale alors qu’on y décidait de leur avenir
et de celui du royaume. Aliena retrouvait là presque chaque matin le prieur
Philip. Les rumeurs les plus diverses couraient. Un jour, tous les comtes
partisans de Stephen devaient être dépouillés de leurs titres (ce qui
signifiait la fin de William) ; le lendemain, ils devaient conserver leur
position, ce qui anéantissait les espoirs de Richard. Les châteaux forts de
Stephen seraient démolis, puis ceux des rebelles, puis ceux de tout le monde,
puis aucun. On racontait que chacun des partisans de Henry serait fait
chevalier et qu’on lui donnerait cent arpents. Richard ne voulait pas de
cadeau, il voulait son comté.
Le frère
d’Aliena ne savait absolument pas quelles rumeurs étaient vraies, et si même
toutes n’étaient pas fausses. Bien que
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