Les Piliers de la Terre
fidèle lieutenant de Henry sur le champ
de bataille, on ne le consultait pas sur le détail des négociations politiques.
Philip, toutefois, semblait beaucoup plus au courant. Il refusait de dire d’où
il tenait ses renseignements, mais Aliena se rappela qu’il avait un frère,
lequel venait de temps en temps lui rendre visite à Kingsbridge et avait
travaillé pour Robert de Gloucester et l’impératrice Maud : maintenant que
Robert et Maud étaient morts, peut-être était-il au service du duc Henry.
Philip
annonça que les négociateurs étaient sur le point d’aboutir. L’accord prévoyait
que Stephen resterait roi jusqu’à sa mort, mais que Henry lui succéderait.
Mauvaise nouvelle. Stephen pouvait vivre encore dix ans. Que se passerait-il
pendant ce temps ? On n’allait sûrement pas écarter les comtes de Stephen
alors que leur roi continuait à régner. Comment les partisans de Henry – comme
Richard – obtiendraient-ils alors leurs récompenses ? Faudrait-il qu’ils
attendent la fin de Stephen ?
Philip
connut enfin la réponse alors qu’ils étaient tous à Winchester depuis une
semaine. Il envoya un novice chercher Aliena et Richard. Pendant leur trajet
dans les rues animées jusqu’à l’enceinte de la cathédrale, Richard bouillait
d’une violente impatience, mais Aliena tremblait.
Philip les
attendait dans le cimetière. La conversation se déroula au milieu des tombes
tandis que le soleil déclinait à l’horizon. « Ils sont parvenus à un
accord, déclara Philip sans préambule. Mais c’est assez compliqué. »
Aliena ne
pouvait supporter d’attendre davantage. « Richard regagne-t-il son
comté ? » demanda-t-elle d’un ton pressant.
Philip
balança la main d’un côté et de l’autre, dans un geste qui voulait dire
peut-être que oui, peut-être que non. « Ce n’est pas si simple. Selon le
compromis, les terres prises par des usurpateurs seront restituées aux gens qui
les possédaient au temps du vieux roi Henry.
— C’est
exactement ce qu’il me faut ! s’exclama Richard. Mon père était comte du
temps du roi Henry.
— Tais-toi,
Richard, intervint Aliena.
— Alors,
où est la complication ? continua son frère sans tenir compte de
l’interruption.
— Il
n’y a rien dans l’accord qui oblige Stephen à l’appliquer. Il n’y aura sans
doute aucun changement avant sa mort et l’avènement de Henry. »
Richard
était tout déconfit. « Je n’aurai rien ?
— Pas
vraiment, dit Philip. Tu es le comte légitime.
— Mais
le comte légitime devra vivre en hors-la-loi jusqu’à la mort de Stephen –
pendant que le comte illégitime, cet animal de William, occupera mon château,
déclara Richard rageusement.
— Pas
si fort, protesta Philip, car un prêtre les croisait. Tout cela est encore
secret. »
Aliena
enrageait. « Je n’admets pas cela, s’écria-t-elle. Je refuse d’attendre la
mort de Stephen. J’ai attendu dix-sept ans, j’en ai assez.
— Mais
que pouvez-vous faire, à votre avis ? » objecta Philip.
Aliena se
tourna vers Richard. « Tout le pays ou presque te considère comme le comte
légitime. Stephen et Henry ont reconnu ta légitimité. Empare-toi du château et
gouverne selon ton titre.
— Je
ne peux pas m’emparer du château. William l’a sûrement laissé sous bonne garde.
— Tu
as une armée, non ? lança-t-elle, emportée par la force de sa colère et de
sa déception. Tu as droit à ce château. Vas-y. »
Richard
secoua la tête. « En quinze ans de guerre civile, sais-tu combien j’ai vu
de châteaux enlevés par un assaut de front ? Pas un. » Comme
toujours, il manifestait autorité et maturité dès qu’il se mettait à parler de
questions militaires. « Une ville parfois, mais pas un château fort. J’en
ai vu tomber par lâcheté, par ruse ou par traîtrise, mais jamais par la force
pure. »
Aliena
n’entendait pas accepter ce qui lui paraissait dicté par le découragement. Elle
ne pouvait se résoudre à d’autres années d’attente et d’espoir déçu. Que se
passerait-il, demanda-t-elle, si tu amenais ta troupe au château de
William ?
— Les
officiers du guet lèveraient le pont-levis et fermeraient les portes avant que
nous ayons pu entrer. Nous camperions sous les remparts. Puis William viendrait
au secours de la garnison avec son armée et attaquerait notre camp. Même si
nous remportions, nous ne prendrions pas le château. Ce sont des
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