Les Piliers de la Terre
projeté dans le vide et retrouva son équilibre au dernier
moment, le cœur battant.
A pas
prudents, il revint le long du toit jusqu’à la porte du clocheton et descendit.
VII
Le travail
avait complètement cessé à l’église de Shiring. Le prieur Philip s’en
réjouissait secrètement. Après les heures qu’il avait passées à regarder d’un
œil consterné son chantier de construction abandonné, il ne pouvait s’empêcher
d’éprouver un certain plaisir à l’idée que la même chose arrivait à ses
ennemis. Alfred le bâtisseur avait seulement démoli la vieille église et posé
les fondations du nouveau chœur quand William avait été évincé de son titre.
Plus d’argent, plus de cathédrale. Philip se reprocha de se réjouir de la ruine
d’une église. Toutefois, il fallait reconnaître la manifeste volonté de Dieu
que la cathédrale se construise à Kingsbridge et non à Shiring ; la mauvaise
fortune qui frappait le projet de Waleran semblait un signe fort clair des
intentions divines.
A présent
que la plus grande église de la ville était rasée, le tribunal du comté
siégeait dans la grande salle du château. Philip gravit la colline, Jonathan à
son côté. Il avait fait du jeune homme son assistant personnel, dans le grand
remaniement qui avait suivi la défection de Remigius. Philip, quoique choqué
par la perfidie de son sous-prieur, s’était en même temps trouvé ravi de le
voir partir. Depuis la victoire de Philip sur Remigius à l’élection, le moine
était comme une épine dans sa chair. Le prieuré était devenu plus agréable à
vivre depuis son départ.
Milius,
nouveau sous-prieur, continuait de tenir le rôle de trésorier, avec trois
adjoints.
Philip éprouvait
une profonde satisfaction à travailler avec Jonathan. Il se plaisait à lui
expliquer la gestion du monastère, à lui apprendre le monde et à lui montrer
comment se conduire avec les gens. Le garçon en général était assez aimé ;
mais il lui arrivait de montrer une certaine sécheresse qui hérissait les
sensibles. Jonathan avait un esprit vif qui surprenait souvent Philip. Le
prieur se prenait parfois en flagrant péché d’orgueil quand il constatait
combien Jonathan lui ressemblait.
Il l’avait
emmené, cette fois, pour lui montrer comment fonctionnait le tribunal du comté.
Philip voulait demander au shérif d’ordonner à Richard de permettre au prieuré
l’accès de la carrière. Philip était certain que légalement Richard avait tort.
La nouvelle loi sur la restitution des biens à leurs anciens propriétaires
n’affectait pas les droits du prieuré. Elle avait pour objet de permettre au
duc Henry de remplacer les comtes de Stephen par des hommes à lui, qui
l’avaient soutenu et qu’il voulait récompenser ainsi. Les monastères n’étaient
pas concernés. Philip avait bon espoir de remporter sa cause encore qu’il
fallait tenir compte d’un facteur inconnu : le vieux shérif étant mort, on
devait annoncer aujourd’hui même le nom de son remplaçant. Les noms qu’on
citait le plus souvent étaient ceux des trois ou quatre notables de
Shiring : David le marchand de soie ; Rees le Gallois, un prêtre qui
avait travaillé à la cour du roi ; Gilles Cœur de Lion, un chevalier
possédant quelques terres à la sortie de la ville ; ou bien Hugh le
Bâtard, le fils naturel de l’évêque de Salisbury. Philip espérait la victoire
de Rees, non parce que c’était un compatriote, mais parce qu’il serait le plus
favorable à l’Église. En tout état de cause. Philip ne se faisait pas trop de
souci, n’importe lequel des quatre trancherait en sa faveur.
Ils
entrèrent au château. Il n’était pas très puissamment fortifié car, le comte
possédant un château en dehors de la ville, Shiring avait échappé aux combats
pendant plusieurs générations. Ce château-ci était plutôt un centre
administratif, avec des bureaux et des appartements pour le shérif et ses
hommes, et des cachots pour les délinquants. Philip et Jonathan laissèrent
leurs chevaux à l’écurie et entrèrent dans le plus grand bâtiment où se
trouvait la salle commune.
On avait
disposé différemment les tables à tréteaux qui d’ordinaire formaient un T. On
avait conservé la barre du T, qu’on avait dressée sur une estrade. Les autres
tables étaient alignées sur les côtés de la salle, de sorte que les différents
plaignants se trouvaient séparés par l’allée centrale et donc
Weitere Kostenlose Bücher