Les Piliers de la Terre
aussi, et
Philip en avait conclu que l’expédition avait quelque chose à voir avec la mère
de Jack, Ellen la sorcière. Jonathan n’avait pas averti Philip de ses projets,
de crainte que le prieur ne lui interdise cette démarche. Ils devaient être de
retour le matin même, mais on ne les avait pas encore vus. Philip ne comptait
pas sur Ellen pour apporter du nouveau au récit de Francis.
Quand ce
dernier eut terminé son témoignage, Philip reprit la parole. « Ce bébé
n’était pas de moi, déclara-t-il avec simplicité. Je jure, ce n’était pas le
mien, au péril de mon âme immortelle, je le jure. Je n’ai jamais eu de
relations charnelles avec une femme et je demeure à ce jour dans cet état de
chasteté que nous recommande l’apôtre Paul. Alors pourquoi, ainsi que le
demande le seigneur évêque, ai-je traité le bébé comme s’il était mon
fils ? »
Il parcourut
l’auditoire du regard. Il avait décidé que sa seule chance était de dire la
vérité en espérant que la voix de Dieu se ferait entendre assez fort pour
vaincre la surdité spirituelle des juges. « Mon père et ma mère sont morts
quand j’avais six ans, assassinés par des soldats du vieux roi Henry, au pays
de Galles. Mon frère et moi fûmes sauvés par l’abbé d’un monastère voisin et, à
compter de ce jour, les moines s’occupèrent entièrement de nous. Je sais ce
qu’est un orphelin de monastère. Je comprends comment l’enfant qui n’a pas de
parents brûle de connaître la caresse d’une mère, même s’il adore les frères
qui l’élèvent. Je savais que Jonathan se sentirait anormal, bizarre,
illégitime. J’ai connu ce sentiment d’isolement, l’impression d’être différent de
tous les autres parce qu’on n’a ni mère ni père. Comme lui, j’ai eu honte de
dépendre de la charité des autres ; je me suis demandé en quoi j’étais
coupable pour avoir été privé de ce que chacun considérait comme naturel. Je
savais qu’il rêverait la nuit du sein tiède et parfumé, de la douce voix d’une
mère qu’il n’avait jamais connue, de quelqu’un qui l’aimerait profondément et
totalement. »
Le visage
de l’archidiacre Peter ne reflétait pas plus de sentiment qu’une pierre. Il
était de la pire espèce de chrétiens, se dit Philip, de ceux qui ne considèrent
que les aspects négatifs de la religion, les proscriptions, les interdits, le
sévère châtiment de tout délit ; mais il ignorait la compassion du
christianisme, en niait l’esprit miséricordieux, trahissait de façon flagrante
sa morale d’amour et violait ouvertement les douces lois de Jésus. Un pharisien
de plus, songea Philip. Le Seigneur, lui, avait préféré souper avec les
publicains et les pécheurs.
Il
poursuivit, le cœur serré, certain que rien de ce qu’il pourrait dire ne
pénétrerait l’armure de vertu qui protégeait Peter. « Personne ne pouvait
s’intéresser à ce garçon comme je l’ai fait, sinon ses propres parents, et
ceux-là, nous n’avons jamais pu les trouver. Quelle indication plus claire de la
volonté de Dieu… » Il ne termina pas sa phrase. Jonathan venait de
pénétrer dans l’église, ainsi que Jack ; entre eux s’avançait la sorcière,
la mère de Jack.
Malgré ses
cheveux blancs et son visage sillonné de rides, elle avait toujours un port de
reine, la tête haute, ses étranges yeux dorés flamboyants de défi. Philip était
tellement surpris qu’il ne trouva rien à dire.
Le
tribunal regarda silencieusement le groupe traverser le transept. Ellen
s’immobilisa devant l’archidiacre Peter. D’une voix qui résonna comme un coup
de tonnerre sous les voûtes de l’église bâtie par son fils, elle déclara :
« Je jure par tout ce qui est sacré que Jonathan est le fils de Tom le
bâtisseur, mon défunt mari, et de sa première épouse. »
Une
clameur stupéfaite monta de l’assemblée. Pendant un moment, on ne s’entendit
plus. Philip, abasourdi, bouche bée, regardait fixement Ellen. Tom le
bâtisseur ? Jonathan, le fils de Tom le bâtisseur ? Mais bien
sûr ! Ils se ressemblaient, pas seulement de taille, mais de visage. Si
Jonathan avait porté la barbe, l’évidence aurait éclaté aux yeux de tous.
Sa
première réaction fut le déchirement : jusqu’alors il avait été pour
Jonathan le meilleur des pères. Mais c’était Tom qui avait engendré Jonathan
et, bien qu’il fût mort, cette révélation changeait tout. Philip ne pouvait
plus
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