Les Piliers de la Terre
« Silence ! » On se tut. « L’audience
est terminée ! proclama-t-il.
— Une
minute ! Ça ne suffit pas ! cria Jack avec passion. Je veux savoir pourquoi. » Sans se soucier de lui. Peter se dirigea vers la porte qui
menait au cloître et Waleran lui emboîta le pas.
Jack se
précipita derrière eux. « Pourquoi avez-vous fait cela ? lança-t-il à
Waleran. Vous avez menti sous serment et un homme en est mort… Vous allez
sortir d’ici sans un mot de plus ? »
L’évêque
regardait droit devant lui, le visage livide, les lèvres serrées, tout son
visage exprimant la rage. Au moment où il franchissait le seuil, Jack
hurla : « Réponds-moi, menteur, lâche, prêtre corrompu !
Pourquoi as-tu tué mon père ? »
Waleran
sortit de l’église et la porte claqua derrière lui.
II
La lettre
du roi Henry arriva pendant la tenue d’un chapitre.
Jack avait
bâti une nouvelle salle capitulaire, plus grande, pour abriter le conseil des
cent cinquante moines, l’effectif le plus important pour un seul monastère de
toute l’Angleterre. Le bâtiment, construit en rond, avait un plafond voûté et
des rangées de marches servaient de sièges aux moines. Les dignitaires du
couvent prenaient place sur des bancs de pierre, le long des murs, un peu
au-dessus du niveau des autres ; Philip et Jonathan occupaient des trônes
de pierre sculptée, adossés au mur en face de la porte.
Un jeune
moine lisait l’article sept de la règle de saint Benoît. « La sixième
étape de l’humilité est atteinte lorsqu’un moine sait accepter le vil et le
misérable. » Philip se rendit compte qu’il ne connaissait pas le nom du
lecteur. Décidément, il vieillissait… ou bien le monastère accueillait tant de
nouveaux qu’il ne les connaissait plus. « La septième étape de l’humilité
est atteinte quand un homme non seulement profère clairement qu’il est
inférieur à autrui, mais lorsqu’il en est persuadé au fond de son cœur. »
Philip n’avait pas encore atteint ce stade-là. Il avait achevé beaucoup de
choses en soixante-deux ans d’existence, grâce à son courage, à sa
détermination et à son cerveau, mais il était obligé de se redire constamment
que sa réussite, il la devait entièrement à Dieu, sans l’aide de qui tous ses
efforts auraient été vains.
Auprès de
lui, Jonathan s’agitait nerveusement. Le jeune homme s’accordait encore plus
mal que Philip avec la vertu d’humilité. L’arrogance est le défaut des bons
chefs. Jonathan s’apprêtait à prendre la direction du prieuré – et il était
impatient. Il avait hâte d’essayer les techniques agricoles qu’Aliena avait
conçues et dont ils avaient parlé ensemble : utiliser des chevaux pour
labourer, planter sur une partie des terres en jachère des pois et de l’avoine,
qui assureraient une récolte de printemps. J’étais tout à fait comme lui quand
je commençais à élever des moutons pour leur laine, il y a vingt-cinq ans de
cela, songea Philip.
Il était
temps pour lui de transmettre son poste de prieur à Jonathan et de consacrer
ses dernières années à la prière et la méditation. Il avait souvent conseillé
ce choix à d’autres. Mais, maintenant que c’était son tour de se retirer, la
perspective l’horrifiait. Il avait une santé excellente et l’esprit toujours
aussi vif. Une vie de prière et de méditation le rendrait fou.
Toutefois,
Jonathan n’attendrait pas indéfiniment. Dieu lui avait donné le talent de
diriger un grand monastère et ce talent, il ne comptait pas le gaspiller. Au
cours des années, il avait visité de nombreuses abbayes et laissé partout une
bonne impression. Dès qu’on apprendrait la mort d’un abbé dans un monastère,
les moines, qui le connaissaient, pousseraient Jonathan à se présenter à
l’élection et ce serait difficile pour Philip de lui refuser sa permission.
Le lecteur
inconnu de Philip terminait juste quand on frappa à la porte. Le portier entra.
Frère Steven, le prévôt des novices, le foudroya du regard : comment
osait-il distraire les moines en plein chapitre ? Le prévôt était
responsable de la discipline et, comme tous ceux qui occupaient ce poste,
Steven se montrait très à cheval sur la règle.
Le portier
chuchota : « Il y a un messager du roi ! »
— Va
voir, veux-tu ? dit Philip à Jonathan. Jonathan sortit, accompagné par les
commentaires qu’échangeaient les moines à voix basse. « Reprenons,
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