Les Piliers de la Terre
service. Cela prit longtemps, car il
leur fit répéter les répons et les répéter encore jusqu’au moment où les moines
purent les dire en parfaite unisson. Puis, en silence, il les fit sortir de la
chapelle et traverser la clairière jusqu’au réfectoire. Il renvoya le porc rôti
à la cuisine, commanda du pain et de la petite bière, puis il désigna un moine
pour lire tout haut pendant qu’ils mangeaient. Dès qu’ils eurent fini, il les
entraîna, toujours en silence, jusqu’au dortoir.
Il ordonna
qu’on apporte son lit de la maison séparée qu’occupait le prieur : il
dormirait dans la même pièce que les moines. C’était la façon la plus simple et
la plus efficace de prévenir tout péché d’impureté.
Il ne
ferma pas l’œil de toute la première nuit, mais resta assis à prier en silence
à la lueur d’une bougie jusqu’à ce qu’il soit minuit et l’heure de réveiller
les moines pour les matines. Il célébra rapidement cet office afin de leur
faire comprendre qu’il n’était pas absolument impitoyable. Ils revinrent se
coucher, mais Philip, lui, ne dormit pas.
Il sortit
au lever du jour, avant leur réveil, et regarda autour de lui en pensant à la
journée qui l’attendait. Un des champs avait été récemment défriché et au beau
milieu se dressait l’énorme souche de ce qui avait dû être un grand chêne. Cela
lui donna une idée.
Après le
service de prime et le petit déjeuner, il les emmena tous dans le champ avec
des cordes et des haches, et ils passèrent la matinée à déraciner l’énorme
souche, la moitié d’entre eux tirant sur les cordes tandis que l’autre
attaquait les racines à coups de hache. « Ho. » Une fois le travail
terminé, Philip leur distribua à tous de la bière, du pain et une tranche de
porc qu’il leur avait refusé au souper.
Ce ne fut
pas la fin des problèmes, mais le début des solutions. Dès le commencement,
Philip refusa de demander à la maison mère autre chose que du grain pour le
pain et des cierges pour la chapelle. La certitude qu’ils n’auraient pas
d’autre viande que ce qu’ils auraient élevé ou pris eux-mêmes au piège fit des
moines de soigneux éleveurs de bétail et d’habiles preneurs d’oiseaux ;
et, alors qu’ils avaient jusque-là considéré les services comme une façon
d’échapper au travail, ils étaient heureux maintenant quand Philip réduisait
les heures passées à la chapelle pour leur permettre de passer plus de temps
aux champs.
Au bout de
deux ans, ils se suffisaient à eux-mêmes et, au bout de quatre, ils
ravitaillaient le prieuré de Kingsbridge en viande, en gibier et en fromages de
chèvre devenus une friandise convoitée. La communauté prospérait, les offices
étaient irréprochables, les frères sains et heureux.
Philip
aurait été satisfait si la maison mère, le prieuré de Kings-bridge, n’avait pas
sombré, lui, de mal en pis.
Kings-bridge
aurait dû être un des principaux centres religieux du royaume, bourdonnant
d’activité, avec sa bibliothèque fréquentée par les érudits étrangers, son
prieur consulté par les barons, ses autels attirant des pèlerins de tout le
pays, son hospitalité vantée par la noblesse, sa charité célèbre parmi les
pauvres. Mais l’église tombait en ruine, la moitié des bâtiments monastiques
étaient vides et le prieuré était endetté auprès des prêteurs. Philip se
rendait à Kings-bridge au moins une fois par an et, chaque fois, il revenait
bouillonnant de colère devant la façon dont les richesses, léguées par de
fidèles dévots et accrues par des moines dévoués, se trouvaient dissipées avec
insouciance comme l’héritage du fils prodigue.
Une partie
du problème tenait à l’emplacement du prieuré. Kings-bridge était un petit
village sur une route de campagne qui ne menait nulle part. Depuis le temps du
premier roi Guillaume – qu’on avait appelé le Conquérant, ou le Bâtard, suivant
les opinions de qui parlait – la plupart des cathédrales avaient été
transférées dans de grandes villes ; mais Kings-bridge avait échappé à ce
bouleversement. Toutefois, pour Philip, ce n’était pas un problème
insurmontable : un monastère actif avec une église-cathédrale se devait
d’être une ville en soi.
Le vrai
problème venait de la léthargie du vieux prieur James. Avec une main molle à la
barre, le navire avançait au gré des vents sans aller nulle part. Et, au vif
regret de Philip, le
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